Chapitre 1

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Beacon Hill – Seattle

Printemps 2019

Kieran


Le soleil du début d'après-midi me réveilla comme chaque fois que je chassais de nuit, et comme à chaque réveil, une boule de poils était lovée contre moi. Je secouai la louve qui grogna de mécontentement.

— T'abuses, Blake ! Je t'ai dit « pas sur le lit », tu fous des poils partout.

Elle grogna encore sans bouger d'un pouce. Je la poussai franchement vers l'extrémité du matelas. Elle finit par se redresser pour sauter sur le parquet. Les oreilles couchées en arrière, elle me fixa d'un air à mi chemin entre l'agacement et la lassitude.

— Quoi ? C'est pas toi qui fais la lessive.

Elle souffla tout en trottant en direction du couloir. Je profitai d'être parfaitement réveillé pour m'habiller afin de la rejoindre en bas dans une tenue correcte. Je la trouvai au salon, assise face aux photos de nous deux avant cette fameuse nuit, cinq ans auparavant. Sa simple posture exhalait une tristesse à fendre l'âme. Je la comprenais, j'éprouvais la même.

Beaucoup de clichés alignés sur mes étagères montraient Blake lors de différentes compétitions de hockey sur glace, car elle avait été une joueuse professionnelle. Mais depuis la nuit de notre attaque, tout comme j'avais perdu ma capacité à me transformer en loup, elle avait perdu celle de redevenir humaine.

Pour ne pas avoir à révéler une réalité à laquelle personne n'aurait cru, j'avais signalé sa disparition, plongeant durant quelques jours le monde du hockey féminin dans le deuil. Les hommages s'étaient succédés un temps, puis le nom de Blake Daley avait peu à peu disparu de toutes les lèvres. C'était d'autant plus terrible que si nous parvenions à récupérer la part manquante de chacun, sa carrière serait malgré tout terminée. À vingt-huit ans, sans jouer depuis cinq ans, la reprise à un haut niveau serait impossible.

De toute façon, penser ainsi était prématuré puisqu'on n'aurait à s'en inquiéter qu'à la condition de retrouver l'étrange créature de pierre dont je ne savais toujours rien.

Mon smartphone vibra dans ma poche, signalant par la même occasion ma présence à ma petite sœur qui tourna la tête dans ma direction.

— Désolé.

Le message annonçait peut-être une bonne nouvelle à ce sujet.

— C'est Teddy, il veut nous voir au SAM cet aprèm. Depuis le temps qu'il fait jouer ses relations pour nous aider, il aura peut-être fini par trouver quelque chose. Œufs brouillés et bacon ?

Ma louve de sœur se redressa d'un coup, la queue balançant d'impatience. L'idée lui plaisait. Elle me suivit dans la cuisine et ne me lâcha pas des yeux jusqu'à ce que son assiette creuse soit généreusement remplie. J'apportai le tout dans le salon où je m'assis en tailleur sur le sol.

— Bon appétit ! lançai-je en posant l'assiette devant elle.

Comme toujours, elle engloutit le tout sans en laisser la moindre miette. Je ne mangeais plus à table depuis longtemps, car même un geste aussi banal me donnait l'impression d'exclure Blake et de la ramener à sa condition – ou plutôt à une moitié de sa condition. Je prenais donc mes repas assis par terre et ne préparais que des plats qu'elle pouvait manger. On avait tenté un hamburger, une fois. Ni elle ni moi n'en gardions un agréable souvenir.

Notre petit déjeuner terminé, j'abandonnai la vaisselle dans l'évier avant d'attraper ma veste et la laisse de Blake. En dépit de notre réticence à l'utiliser, nous n'avions pas le choix lorsqu'il s'agissait de sortir en ville. Les gens n'aimaient pas voir un animal aussi gros en liberté, même avec un collier.

Le Souffle du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant