Chapitre 9 - Partie 1

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Kieran

En arrivant au boulot le lendemain soir, j'appris le report de la visite de l'héritier régnant avec grand soulagement, jusqu'à ce qu'on parle d'un retard de deux ou trois jours seulement. Au Japon pour ratifier des accords, les négociations traînaient en longueur. Ça ne laissait pas beaucoup de répit.

Une fois les dernières nouvelles échangées avec les collègues que je croisai, je profitai de mon avance pour prendre la direction des archives auxquelles on accédait par un ascenseur au premier sous-sol. Tout était numérisé, bien sûr, mais je préférais le papier. Lui au moins ne gardait pas en mémoire mon historique de recherches. En arrivant devant l'ascenseur, je tombai nez à nez avec Sitjaq. Pour la première fois depuis que nous nous connaissions, son sourire me fit perdre tous mes moyens. Afin de garder une contenance, j'appuyai sur le bouton d'ouverture des portes.

— Qu'est-ce que tu vas faire aux archives ? me demanda-t-il, dubitatif, tandis que je rentrais dans la cabine.

Lui dire la vérité était inenvisageable, ça soulèverait plus de questions encore.

— Le seul moyen de le savoir est de venir avec moi, esquivai-je de mon air le plus assuré.

En fait, j'étais mort de peur à l'idée que ça ne s'ajoute à la liste de mes comportements assez bizarres pour attirer l'attention. Sitjaq amorça un geste. Quand les portes se refermèrent, j'eus simplement le temps de le voir s'immobiliser.

La scène me parut tellement étrange que je dus me la repasser en tête pour trouver ce qui me laissait une sensation de chance manquée : il était sur le point de venir avec moi.

Pourquoi ?

Il n'y avait dans son expression ni suspicion ni méfiance, juste quelque chose de plus diffus, de plus douloureux.

Finalement, le plus inhabituel des deux en ce moment, c'était peut-être lui. L'arrivée du big boss ne pouvait pas justifier à elle seule son comportement. Sitjaq était un roc. S'il était déstabilisé, c'était forcément par une chose contre laquelle il ne savait pas se battre, ou qu'il ne savait pas maîtriser. Ça réduisait la liste comme peau de chagrin.

L'ouverture des portes me ramena à ma situation actuelle et à la raison de ma présence ici : trouver des informations sur les croyances des Inuits. Une fois dans la salle des archives où s'entassaient sous une lumière blanche artificielle plus de six cents ans d'Histoire, je me mis au travail avec l'espoir d'avoir assez d'une heure pour trouver quelque chose. Cela me paraissait optimiste.

En fait, j'aurais aimé que ça le soit, car il y avait si peu de données qu'une demi-heure me fut suffisante pour comprendre que je n'obtiendrais aucune réponse ici. Personne n'avait pris le temps d'effectuer un réel travail de compilation et de restitution des croyances autochtones. Cela m'étonna de la part des Stratton, jusqu'à ce que je me rende compte qu'ils étaient malgré tout des chrétiens blancs, ceux-là même qui avaient organisé l'oppression des peuples autochtones d'Amérique.

Agacé par la tournure chaotique des événements, je montai au niveau supérieur après avoir rangé ce que j'avais pris. Il me restait un peu plus de vingt minutes, j'en profitai pour trouver Sanna qui, comme moi, arrivait toujours en avance. Je lui offris une boisson à la machine à café, avant d'aborder le sujet des croyances de son peuple.

— Tu viens du Nunavut, toi aussi ?

— J'y suis juste née, je n'y ai pas grandi. Pourquoi ?

— Je me suis toujours demandé ce que représentait le drapeau, mentis-je.

— C'est un inukshuk, un empilement de pierres. Les Inuits s'en servaient pour se repérer et marquer le passage des troupeaux de caribous.

— Et y'a des légendes autour ?

Le Souffle du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant