62. Hors jeu

Depuis le début
                                    

Laura fut estomaquée par cette marque habituelle de l'assurance absolue de Michael, qui dans le contexte avait un tout autre relief. Cependant, grisée par l'eau glacée, elle ne put s'empêcher de l'apostropher davantage.

— Et si l'humanité n'en veut pas de tes bonnes idées ?

— L'humanité n'est pas en mesure de prendre soin d'elle-même. C'est mon rôle de lui venir en aide... et de la guider vers la lumière... Maintenant...

Ses yeux luisirent soudain dans la pénombre et Laura sentit quelque chose se figer dans son crâne, comme si des crocs s'étaient enfoncés dans sa conscience, la contraignant à une écoute parfaite, attentive, recueillie.

— Retourne à l'hôtel.

Une injonction à laquelle elle voulait résister, absolument, mais qui s'inscrivit en lettres de feu dans son esprit.

Puis Michael franchit le tournant dans l'escalier et disparut de son champ de vision. Derrière elle, une alarme se déclencha soudain, détectant, à retardement, l'intrusion improbable. La verrière avait cédé sur un bon tiers de sa surface et Laura ne voulait pas songer aux dégâts causés par ce déferlement des cieux. Elle ne pouvait cependant rester pour sauver ce qui pouvait l'être : elle devait rentrer à l'hôtel. Maintenant. Absolument.

Les couloirs de l'Institut étaient déserts et silencieux, le sol ne révélait le passage de personne. Les portes de l'entrée, intactes, s'ouvrirent sur une esplanade tranquille. La lumière des lampadaires éclairait le trottoir, quelques voitures obscures, la pluie tombait drue mais sans violence particulière. L'apocalypse semblait confinée au sous-sol.

Arrivée au bord de la route, Laura sortit son téléphone de sa poche, pour réaliser qu'il avait rendu l'âme dans le chaos des derniers instants. L'écran fracassé n'affichait plus que des barres colorées et l'appareil émettait un grésillement de mauvais augure, signe qu'il avait peu apprécié la douche. Inquiète de l'odeur métallique qui s'en dégageait, la jeune femme préféra l'abandonner dans une poubelle. Elle aurait sûrement pu trouver quelque chose de plus intelligent à en faire, mais elle devait rentrer à l'hôtel.

Impérativement.

Elle hâta le pas. Sans doute aurait-elle pu appeler un taxi. Peut-être aurait-elle dû prévenir quelqu'un, pour la morgue et la verrière, mais elle n'avait plus de téléphone, et comment aurait-elle pu expliquer sa présence, sur place, au moment du désastre, en pleine nuit. Les sirènes d'une voiture de police la dépassèrent à pleine vitesse, hurlantes, sans qu'elle sache si cela la concernait. La pluie déferlait toujours en rideaux serrés sur la ville, tout était gris, morne et glacé. Laura s'attendait à ce quelque chose se brise à l'intérieur d'elle-même, au moment où la lance traverserait l'échine du dieu chacal. Une flamme mouchée.

Il mourrait persuadé qu'elle l'avait trahi, alors qu'elle n'avait rien fait de tel. Même s'il s'était servi d'elle, même s'il était égoïste, arrogant, inutile, même s'il était un monstre, elle ne l'aurait pas livré à son adversaire.

Elle devait rentrer à l'hôtel, attendre, sagement.

Sans doute Michael avait-il le pouvoir d'effacer sa mémoire, de réduire les événements des derniers jours à une brume imprécise. Elle se réveillerait d'un rêve, d'un coma, elle découvrirait un monde légèrement différent mais qui aurait retrouvé les bases indispensables à une existence sereine. Sans doute ne retrouverait-on jamais le corps du Docteur Ubis mais l'inspecteur Celarghan aurait une fiction toute trouvée : emporté par le Tren, par exemple, ce serait approprié.

Elle ne voulait pas le perdre, pourtant, ce dieu égyptien qui l'avait à moitié étranglée sur le quai, qui avait encaissé ses balles sans broncher, qui parlait de milliers de démons dans les rues de milliers de villes, comme si c'était une banalité.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant