57. Effacer ses traces

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— Je ne sais pas où il est...

— Je ne peux pas t'aider.

Elle le repoussa d'une main maladroite et il recula, la laissant sur ses pieds.

— Le Dévoreur, c'est aussi un foutu dieu ? Apollon ? Thor ?

Sa culture générale ne lui en offrit pas davantage.

— Non. C'est un démon.

— Un quoi ?

— Un démon. Un des nombreux fils du Diable.

Elle l'entendit rire à voix basse, désabusé.

— Je n'aurais jamais dû te dire une chose pareille. Mais Michael va s'en occuper. Tu ne dois pas avoir peur. Il n'a pas plus de chance de s'en sortir que moi.

— Pas avoir peur, répéta-t-elle, tandis qu'il l'entraînait vers la sortie.

Ils émergèrent sur le trottoir, dans la nuit orange et humide. Laura n'avait aucune idée de l'heure, son corps tout entier l'élançait, un immense creux dans sa poitrine l'attirait vers le néant. Ubis lui parlait depuis un moment, déjà, et elle n'entendait plus rien. Si seulement il avait plu, elle aurait aimé ça, qu'il pleuve.

Il la secoua doucement.

— Reste au moins une heure dans la Cathédrale. Cela suffira pour effacer tous les échos. Choisis la chapelle avec le plus de cierges, ce sera la plus efficace.

— C'est la nuit, souffla Laura.

— Elle est ouverte à toute heure. Tout ira bien.

— Tu ne viens pas avec moi ?

— Non. On voit la cathédrale d'ici, tu ne peux pas te tromper.

Il désigna son double clocher, dressé sur les nuages obscurs, comme un V de la victoire triomphant.

— Je ne peux pas me rendre dans ce genre d'endroits. Ça m'est impossible.

— Tu étais bien dans l'église d'Aaron.

— Parce que cette église est morte, les fragments de Foi qui y persistent sont sans danger.

Il posa les mains sur ses épaules, ancra son regard dans le sien.

— Vas-y. Ne dis rien à Michael. Il te protégera, c'est sa raison d'être.

Il fit un pas en arrière, vers son soupirail.

— Je suis désolé de t'avoir asséné toutes ces horreurs. Je n'aurais sans doute pas dû... mais... c'est agréable, parfois, de pouvoir partager ces choses qu'on tait et qui nous rongent... Je suis seul depuis longtemps.

Il s'accroupit, rouvrit le soupirail.

— Bon vent. Protège-toi.

Il jeta un oeil vers elle, sourit.

— Nous aurions fait une bonne équipe, je pense, si elle avait pu durer.

Laura réalisa subitement qu'il était en train de lui dire adieu, comme ça, sur le trottoir.

— Allan, attends...

La pétarade d'une moto, en bout de rue, la fit se retourner. Quand elle fit volte-face, il avait disparu, aspiré par le labyrinthe. Elle eut beau tirer sur la grille du soupirail, elle ne bougea pas d'un millimètre. Le rire d'un femme, un peu plus loin dans la rue, l'arracha à sa tentative peu discrète de s'introduire dans le musée et elle abandonna le dieu égyptien à son dédale enfoui.


La magnificence de la Cathédrale ne fit que renforcer les émotions nébuleuses de la jeune femme. En se glissant à l'intérieur, elle craignit soudain qu'une alarme se déclenche, révélant sa collusion avec l'ennemi. Le picotement qu'elle ressentit était peut-être le fruit de son imagination, mais aucun éclair ne fusa de la voûte pour la désintégrer. Elle découvrit un décor accidenté de lueurs éparses, d'ombres, de flammes tremblantes et de murmures. D'autres âmes en peine arpentaient ces travées tranquilles, solitaires, silencieuses, assises ou en mouvement, mais personne ne vint à sa rencontre. C'était un espace intime, le lieu d'une communion privée avec l'immensité.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant