55. Une vérité inacceptable

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— Ces hommes... Je leur ai tiré dessus... Ils étaient... ils étaient... ils ont continué à nous poursuivre...

Il acquiesça, lèvres pincées, jeta un regard au ciel.

— Oui, offrit-il finalement.

Elle se frotta les yeux des poings, comme un gosse au réveil, comme pour chasser le cauchemar.

— Comment est-ce possible ?

Il soupira et se détourna pour scruter la rue déserte, les devantures éteintes, condamnées, de boutiques abandonnées.

— Tu aurais dû rentrer à Murmay.

Ce n'était pas la bonne réponse.

— Allan, j'ai besoin...

De quoi avait-elle besoin ?

Elle manqua verser en arrière, il la retint d'une main et la regarda droit dans les yeux.

— Repartons. Je t'expliquerai en route. Nous ne pouvons pas rester ici.

Il se redressa et contourna la voiture. Laura le suivit du regard, à la recherche d'un signe, d'une lumière. Elle pouvait s'enfuir en courant. C'était la chose à faire.

Sonnée, elle remonta, remit le contact. Dans la lumière du plafonnier, elle croisa son regard humide. Ils étaient, l'un et l'autre, dans un état épouvantable, couverts de sang, de fragments d'écorce, échevelés. De plus, Ubis souffrait, Laura le devinait dans la tension de sa gorge et la sueur sur son front.

— Je vous emmène à l'hôpital, cette fois ?

— Sûrement pas.

— Vous avez besoin de soins.

— Je m'en occuperai plus tard.

Il pressait désormais la main contre son bras avec plus de fermeté, tentant d'enrayer l'hémorragie. Le plafonnier s'éteignit, les ramenant à l'ombre.

— Je fais de bonnes sutures, murmura Laura.

— Pas ici. Nous n'avons plus le temps.

— Je peux placer un garrot.

Il étouffa un rire contraint.

— Laura, ce n'est pas une bonne idée.

— Pourquoi ?

— Tu en as déjà beaucoup trop vu.

— Justement. Que pourrais-je voir de pire ?

Il ne répondit rien, désormais adossé à son siège, la tête renversée.

— Laissez-moi faire, répéta Laura.

— Ce n'est pas une bonne idée, trancha-t-il, abrupt.

Elle haussa les épaules et démarra, se glissant dans la rue noire. Le dernier échange, pratique, l'avait curieusement ramenée au réel, même si les questions se bousculaient sous son crâne.

— Où va-t-on ?

— Vers le centre, je te guiderai.

Pendant un moment, elle se concentra sur son itinéraire. Son sens de l'orientation n'était pas mauvais mais elle n'avait jamais conduit dans New Tren, et sa représentation des lieux tenait davantage compte des trottoirs que des sens interdits.

La fatigue se glissa dans sa carcasse en miroir de menues douleurs, le rythme de son coeur s'était tempéré à son insu. Une part d'elle semblait s'être échappée, spectatrice de cet instant improbable. Un délire induit par l'épuisement, dans une réalité parallèle. Rien d'autre. Rien de grave.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now