46. Retour aux sources

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Tu es sûre ?

Oui.

Comme tu voudras.

Laconique. Furieux. Indifférent. Elle ne pouvait pas en juger mais elle méritait le pire, de toute façon.

Ne t'inquiète pas, tout va bien.

Il ne répondit rien.

En marchant dans les rues froides, elle songea à sa propre mort. Être éliminée par un tueur à gages n'était pas exactement la manière dont elle avait imaginé sa grande sortie. Mais rejoindre Jonathan, dans un univers sans plus aucune contrainte, se débarrasser de la douleur, de la peine, des regrets, d'un seul coup... En finir avec tout ce qui n'irait de toute façon jamais droit...

Sous certains côtés, c'était presque tentant.

Elle laissa s'échapper un sanglot imprévu et plaqua une main sur son visage pour s'empêcher de craquer. Le reflet d'une vitrine lui renvoya l'image d'une femme échevelée, pâle et cernée, le front plissé par la détresse. Il ne fallait pas céder à la panique, elle ne l'avait jamais fait, et rien n'était encore joué.

Elle pouvait prendre le train pour Murmay, mais ils auraient gagné.

Ils auraient gagné, ces raclures.

Elle pouvait appeler Sam.

Il était journaliste, il avait des relations, il pouvait faire éclater la vérité au grand jour, vite, partout, par un biais inextinguible. Reportage, articles, réseaux sociaux...

Quelle humiliation.

Fuir devant Ubis et Celarghan, prier Sam de la sauver... Ces solutions ne semblaient pas envisageables, car Laura savait qu'y recourir briserait quelque chose en elle, et qu'elle ne se retrouverait plus jamais.


Elle atteignit son immeuble sous une pluie fine, et monta jusqu'à son appartement déprimant. Elle tourna en rond quelques secondes puis s'affala sur le lit, les yeux au plafond. L'existence lui parut trop lourde puis, soudain, elle se sentit beaucoup plus calme.

Jonathan ne s'était jamais arrêté, il n'avait jamais capitulé. Sans doute était-il mort, mais jusqu'au bout, il avait refusé les compromis. Il s'était dressé contre les plus hautes instances du pays, il avait tenu tête à des juges célèbres, à des psychiatres qui avaient le double de son âge et de son expérience, des politiciens sourds à ses arguments, à l'opinion publique aussi, qui le haïssait. Il avait eu ses instants de doute, mais il ne s'était pas incliné, jamais. Il était mort en restant parfaitement intègre. Il était allé au bout de ses convictions.

Et elle allait faire exactement la même chose. Sans crainte. Jusqu'au bout.

Elle se redressa et attrapa la sacoche de son portable, dans lequel elle avait fourré le paquet anonyme. Elle déchira l'enveloppe de papier kraft et en sortit un capharnaüm de paperasses froissées, de feuilles manuscrites, de coupures de journaux, de photos défraîchies, de photocopies diverses, qui semblaient avoir été assemblées sans le moindre ordre apparent. Laura les étala lentement sur le couvre-lit, sans comprendre d'où toutes ces choses venaient, de quoi il s'agissait, pourquoi et qui lui avait envoyé tout cela. Elle s'attendait presque à voir surgir des clichés pornographiques ou une lettre d'injures... L'écriture sur le papier kraft était mal assurée et il y avait une faute d'orthographe dans son nom. Sans doute quelqu'un, à la réception, avait-il croisé l'expéditeur, mais elle n'avait pas pensé à poser la question. Pas de mot introductif, pas d'enveloppe de secours, non, juste un fatras de papier, des milliers d'informations, et aucune en même temps. Il lui faudrait des heures pour parcourir tout cela, et elle n'avait pas la moindre idée de si cela avait un sens.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now