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TOUYA

Je regarde fixement la main avec laquelle j'ai tenu la sienne pendant que Natsuo connecte la console à la télévision. Je ressemble à une adolescente amoureuse, mais je suis plutôt étonné de moi-même. Je n'ai jamais été tactile, alors avoir fait ce geste aussi naturellement relève du miracle.

Je sors de mes pensées lorsque Shoto m'appelle.

« Ça fait longtemps que je ne t'ai pas vu assis dans le salon, lâche t-il en s'asseyant à côté de moi de sa franchise habituelle.

— C'est bon, arrêtez de me faire la remarque.

— C'est juste... Tu passes toutes tes journées sur le toit, c'est perturbant. Et voilà que tu te mets à parler d'un homme oiseau. »

J'aimerais tellement lui dire que j'avais raison, que Keigo existe vraiment, mais j'avais promis à ce dernier de ne rien dire à personne, même pas à mon petit frère qui parle autant qu'un mur. Je soupire en m'enfonçant dans le canapé.

« Laissez tomber cette histoire. On ne peut pas parler d'autre chose ? Tiens, ta future amoureuse que papa voudrait te faire rencontrer ?

— Ah, le repas est prévu pour dans une semaine. Et toi, tu sors bientôt avec tes amis ? »

La question qui fâche. Je pense que cela fait plus de deux semaines que je n'ai répondu à aucun des messages de ma bande —je suis d'ailleurs étonné qu'Himiko ne soit pas venue frapper à ma porte comme une furie. J'ai juste trouvé plus passionnant que leurs activités.

J'hausse juste les épaules en guise de réponse et saisis la manette que me tend Natsuo. Pendant toutes les parties avec mes frères, je ne fais que zieuter mon téléphone, me demandant sérieusement s'il ne fallait pas que je réponde à mon groupe.

Question que je me pose jusqu'au lendemain.

Alors que j'étais sur le rebord du toit, comme à mon habitude, je regarde mon écran embêté. Je ne remarque même pas la présence à mes côtés jusqu'à ce que le concerné ne me fasse sursauter en me demandant ce que je faisais.

« Keigo ! T'aurais pu prévenir.

— En fait, je suis là depuis un moment. Mais je te regardais faire avec cet objet.

— Tu peux appeler ça un téléphone. Tu n'en as pas ?

— Non. »

Il le saisit avec curiosité sous mes yeux amusés. J'ai l'impression de faire découvrir le monde à quelqu'un et c'est assez divertissant à regarder. Je souris et lui indique l'appareil photo.

« Ça, ça sert à capturer de bons moments et les garder en souvenirs dans une galerie.

— Le même concept que les yeux et la mémoire, en gros. Vous êtes impressionnants les humains, à inventer ce genre de choses compliquées.

— Ah, c'est vrai que tu n'es pas 'humain' à proprement parler. Qu'est-ce que tu es, au juste ?

— Je suis un Ailé. On s'occupe du climat principalement.

— Vous êtes beaucoup ?

— Je ne saurais te dire. En tout cas, on est tous spécialisés pour quelque chose. Mes parents fabriquent des flocons toute l'année, alors que je préfère clairement chasser les nuages.

— J'ai l'impression d'être dans La Fée Clochette. »

Évidemment, il n'a pas les références non plus. Je lâche un rictus et reprend mon téléphone sous son air consterné.

« J'hésitais à répondre à mes amis. Ils veulent qu'on se voit.

— Les sorties en ville ont l'air tellement bien. C'est un de mes rêves.

— Ouais... On ne fait pas vraiment ce genre de choses avec eux.

— Ah bon ? Qu'est-ce que vous faites alors ? »

Je me demande s'il a vraiment envie de savoir. À mon avis, lui dire viendrait à ruiner son image sur le monde de bisounours qu'il s'imagine. Je réponds vaguement et il pose directement de nouvelles questions.

Dire que j'ai été flatté serait peu dire. Je me considère moi-même comme quelqu'un de très futé et je suis très paresseux contrairement à Shoto ou Fuyumi qui sont toujours en activité, mais j'ai l'impression que quelqu'un me prend pour un être intelligent pour la première fois de ma vie. Parler avec Keigo me fait vraiment remonter dans mon estime.

Il ne se lasse jamais et montre clairement son intérêt pour la vie sur terre. Honnêtement, si je pouvais échanger ma vie avec la sienne, je le ferais volontiers. Voler sans arrières pensées et ne pas avoir à réfléchir toutes les secondes sur ses relations, son futur professionnel ou la gestion de l'argent serait un rêve éveillé.

Il ne s'imagine pas ce que c'est, de vivre ici. Il y a certes des avantages, mais aussi des défauts, et malheureusement ces derniers l'emportent.

Après avoir parlé plusieurs heures —ce qui est assez surprenant puisque d'habitude, mes batteries sociales sont rapidement hors-service — il se met en tailleur et soupire.

« J'aimerais tellement aller visiter la ville. Dommage que je doive me les trimballer, raille t-il en désignant ses ailes.

— Tu rigoles ? Voler, c'est ça qui doit être bien.

— Je te les donne volontiers alors. C'est lassant au bout d'un moment. En plus, elles sont très remarquables.

— C'est vrai que les cacher serait compliqué. Mais pas impossible. On peut peut-être essayer de les dissimuler pour que tu puisses te balader ?

— Franchement, bonne chance pour essayer de les cacher. À part les brûler, rien n'y fait. »

Je réfléchis à un moment à une solution à son problème et commence à en voir le bout, sous les yeux interrogatifs de Keigo.

« Tu as une idée ?

— Je pense, mais je dois plus la travailler. En tout cas, je t'assure que tu pourras bientôt visiter la ville ni vu ni connu. »

Il me sourit franchement et se lève alors que je l'imite. Honnêtement, je me demande s'il me croit vraiment ou s'il me prend pour un imbécile heureux.

Il s'en va finalement, ne voulant pas que les autres Ailés se posent des questions, et me dit qu'il reviendra demain.

Parler avec Keigo me change un peu trop. Moi qui n'attendait plus rien de la vie me retrouve à présent boosté par de nouvelles motivations, comme la volonté de lui faire visiter mes quartiers préférés et lui conseiller les meilleurs plats.

Finalement, je redécouvrirai la vie, moi aussi.

Prince des Nuages [DabiHawks]Onde as histórias ganham vida. Descobre agora