Sous les arbres

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Nous longeons la frontière après notre pause. L'humeur globale de notre troupe s'est non seulement améliorée depuis notre départ catastrophique des Anciens Remparts, mais elle est surtout bien meilleure qu'à notre rencontre en partance de Iovannen. Les muscles sont détendus, l'attention est relâchée et chacun confie notre garde aux Sylvains qui voient plus loin et plus nettement, et qui nous avertirons du moindre danger. Qui plus est, les arbres nous protègent et par conséquent, il ne nous viendrait pas à l'esprit de redouter une attaque en ces lieux sacrés. Le vent, les racines ou les troncs donneraient l'alerte à leurs habitants ancestraux par des signes subtils, ou, s'il y a une urgence, par de fortes rafales ou des tremblements de la terre. 

C'est donc reposés et tranquilles que nous parcourons les bois à une allure soutenue, sans se presser pour autant. Il nous faudra un jour et demi de marche pour arriver à l'ouest de la Forêt, un peu au sud, là où le Fleuve Creux nous cédera un passage facile et où nous reprendrons notre périple vers la Grande Région de Lumière. Maelan n'a pas manqué de nous rappeler que, si le pouvoir des Elfes, quel que soit le clan, nous offrira un abri plus ou moins sûr, tous les territoires de leur peuple ne repoussent pas aussi bien l'Obscurité que les Jours Éternels. Certaines terres elfiques sont dévorées par le mal, rongées par des créatures étranges ; des morts-vivants y pénètrent parfois en laissant leurs ossements pourrir et souiller la nature qu'ils touchent ; des barbares s'y risquent et percent quelquefois les défenses aux frontières, et bien qu'ils soient toujours arrêtés à temps, ils créent des dégâts. 

Même la magie de Lumière n'aide pas la Grande Région, car elle n'est pas suffisante. La nature ne lui répond plus, fatiguée de combattre la noirceur des Mages Fous. Je l'ai constaté à Iovannen. Leur clan ne parvient plus à trouver des solutions durables. Leur pouvoir s'amenuise de décennie en décennie. Pour les Jours Éternels, il s'agit d'une force différente qui n'a rien en commun avec des sortilèges qui proviendraient d'un être de chair et de sang. La magie appartient à la Forêt, et à la Forêt seule. Elle l'a partagée avec les Sylvains par simple redevance envers eux qui ont résidé dans ses bois durant des âges entiers et qui lui ont été fidèles. 

Maelan a livré, tout à l'heure, un message à une colombe, ce qui a fortement surpris Torebok et émerveillé Veseryn. Le bel oiseau doit quémander au Seigneur Kailu trois chevaux et un poney pour le Nain. La jeune fille a refusé catégoriquement de monter sans un autre cavalier avec elle, qui veillerait notamment à ce qu'elle ne se tue pas, elle ou l'enfant d'ailleurs. Les montures nous attendront à leur frontière. 

En plus de ce généreux présent, lors de sa brève visite de la cité, les Sylvains ont rempli le sac de Veseryn de tissus légers mais très étanches, des rechanges pour le bébé qui absorbent l'humidité et les fluides afin de le changer seulement quand ce sera nécessaire. Les gardes et Meria sont également revenus avec une besace pleine de gourdes qui contiennent une eau pure  et de nombreux minéraux. Une petite gorgée éloigne la déshydratation pendant deux heures. 

Je marche en retrait, observant avec un soin tout particulier les mouvements des feuillages au gré de la brise, la terre frémissante sous nos pieds, les courbures des branches à notre passage. Les arbres semblent se tourner, suivre notre avancée, curieux de revoir une ancienne amie de la Forêt, curieux qu'un Nain et qu'un Homme des plaines centrales progressent sur leurs sentiers sinueux aux côtés d'un Prince elfique. Maelan ralentit à son tour et cale son pas au mien. 

— Je suppose que vous avez remarqué, ou êtes déjà au courant, de ce qui se trame entre ces deux-là.

Je fais signe du menton en désignant Merialeth et Torebok. Le Capitaine inspire longuement pour ravaler sa frustration ou pour choisir ses mots, puis un rictus en coin se dépose sur ses lèvres.

Dame AerynWhere stories live. Discover now