2. Brûlerie

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"Parce que les seuls qui m'intéressent sont les fous furieux, les fous de vivre, fous de parler, fous d'être sauvés, ceux qui veulent tout à la fois,
Ceux qui ne bâillent jamais, sont incapables de dire des banalités, mais qui brûlent, brûlent, brûlent comme un fabuleux feu d'artifice, et qui explosent comme des étoiles noires parmi les claires constellations [...]."

Jack Kerouac, Sur la route.

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Septembre 2023.

C'est quoi cette odeur de dingue ?

20 minutes qu'elle vient me titiller les narines. 10 minutes qu'elle est venue paralyser mon cerveau et prendre en otage tous mes sens. 5 minutes que je ne pense plus qu'à ça.

Je n'arrive même plus à me concentrer sur le roman que je dois lire pour mon cours de littérature américaine.

Je fais frénétiquement tourner mon stylo sur mon doigt et tente de rester focus. C'est bien pour ça que je suis là, dans cette petite chambre universitaire sans vie : "rester focus".

J'ai perdu la bataille contre mes pères. Pour cette nouvelle rentrée scolaire, ils m'ont retiré de la fraternité et obligé à prendre une chambre individuelle.

J'avais réussi jusqu'à la mi-juin à faire illusion. Mais des photos postées sur les réseaux sociaux et me montrant en train de consommer de la drogue et de l'alcool, le tout en très bonne compagnie, ont causé ma perte.

Elles étaient restées relativement invisibles lorsqu'elles ont été publiées. Mais le jour où j'ai dit un mot de travers sur Ethan, le super mec de ma sœur, ma gentille frangine s'est empressée de montrer ces images à Paja.

Elle l'a fait exprès. Et elle a choisi sa cible. Avec Paji, j'aurais peut-être pu m'en sortir. Mais là, contre Paja, j'étais fais comme un rat.

Ce dernier a convaincu mon autre père et mes parents m'ont donc pris une chambre séparée de mes frères de cœur, dans un immeuble universitaire du campus. Heureusement, je suis toujours membre de la fraternité, mais je n'y dors plus.

- Comme ça, tu resteras concentréFocus ! a lancé mon père avant de clore les débats.

Il est marrant.

Moi je veux bien rester concentré. Mais là, franchement, je n'arrive plus à rien.

Cette odeur putain.

Je ne pense plus qu'à ça.

Pourtant ce roman est super. Indian Creek de Pete Fromm, c'est une ode à la liberté et un voyage dans l'ouest américain. C'est le genre de livres que je peux dévorer en une soirée. Mais pas ce soir.

Les effluves fleuries et sucrées qui parviennent jusqu'à mes narines ont pris possession de mon cerveau. Mes yeux lisent et relisent depuis 10 minutes la même phrase.

"Je m'apprêtais à rejoindre la civilisation, et pour la première fois ou presque, je ne portais pas d'arme".

C'est comme si mon cerveau refusait de l'imprimer et que je n'arrivais pas à passer à la phrase suivante.

Putain, c'est pas possible. Je suis en train de louper la plus grosse fête de rentrée sur le campus justement parce que je dois lire ce livre au risque d'avoir un zéro pointé à l'exam de demain matin, et voilà que je n'arrive plus à bosser.

J'étais censé bouquiner encore une heure puis rejoindre les gars à la fête. Et me voilà en train de faire du sur-place.

De rage, je recule ma chaise et me lève d'un bond. Je fais d'abord les cent pas dans ma piaule mais, au bout de quelques instants, je décide de sortir pour savoir ce qu'il se passe. J'ai besoin d'en avoir le cœur net.

Mords-moiDove le storie prendono vita. Scoprilo ora