Chapitre 29 :Haine intergénérationnelle

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 Une douce mélodie résonnait dans la carrière à l'écart de la ville souterraine. Avec ses coups d'archet assurés, Cristal parachevait sa toute dernière œuvre, une fontaine de marbre dont la statue centrale représentait un arbre dont les fruits étaient faits de pierres précieuses. L'eau s'y écoulait par le haut, ruisselait sur les feuilles et finissait par tomber par petites gouttelettes dans le bassin.

En faisant cela, l'elfe voulait coller au mieux à ce qui pouvait se trouver dans la nature, sous de véritables arbres lorsqu'il pleuvait. Cela faisait cependant bien longtemps qu'elle n'avait pas vu de végétation hormis celle qu'elle pouvait faire pousser grâce à sa musique. En huit ans d'entraînement, elle n'avait d'ailleurs toujours pas compris comment elle pouvait faire pousser des végétaux sans même que la moindre graine ne soit plantée dans le sol.

Contemplant son œuvre, Cristal fut prise d'une certaine nostalgie du temps où le ciel se trouvait au-dessus de sa tête plutôt qu'une voûte de pierre rehaussée de cristaux lumineux. Elle ne l'avait pas revu depuis son arrivée ici où elle s'était entraînée chaque jour pour maîtriser le nombre incommensurable de pouvoirs qu'elle avait. Elle avait d'ailleurs fini par en perdre le compte et, une fois qu'elle avait compris comment les plier à sa volonté, s'était dit qu'elle n'avait que son imagination pour seule limite.

Cela faisait d'elle la musicienne la plus puissante de tous les temps, du moins pour ce qui était de son potentiel. Si son père en avait perçu ne serait-ce qu'une fraction, il n'était pas étonnant qu'il ait eu peur d'elle. Il avait cependant fait une erreur le jour où il l'avait poignardée en ne vérifiant pas si elle avait rendu son dernier souffle.

À chaque fin d'entraînement, Cristal se posait une question. Était-elle au niveau pour l'affronter à présent ? La précision avec laquelle la fontaine avait été créée pouvait lui indiquer que oui, mais elle finissait toujours par se dire, en son for intérieur, que ça n'était pas encore assez. Que l'entraînement n'était rien face à l'expérience du terrain qu'il avait acquis au cours de ses nombreuses campagnes.

Elle n'était cependant pas seule pour porter ce fardeau et libérer toutes les races de la tyrannie des elfes. Elle pouvait tout d'abord compter sur le soutien de Mélyne, mais aussi de nombreux autres résistants qui, en huit ans, avaient effectué le rituel qui permettait d'obtenir un instrument de l'âme.

Pour eux aussi cela s'était avéré compliqué. Ils n'avaient certes pas autant de pouvoirs à gérer qu'elle, mais devaient composer avec des instruments qu'ils n'avaient, pour la plupart, jamais touchés de leur vie. La musique étant interdite pour eux, ils devaient tout apprendre en autodidacte, que ce soit la partie magique ou mélodique.

Ceux qui s'en sortaient le mieux étaient incontestablement les chanteurs. Leur entraînement était tout aussi rigoureux, mais au moins, vu que l'instrument était leur voix, il s'agissait de quelque chose qu'il pouvait appréhender plus facilement qu'une personne à qui on aurait confié un instrument dont il ne savait même pas par quel bout le prendre.

Tandis qu'elle était plongée dans ses pensées, assises sur le rebord de la fontaine fraîchement achevée, une pierre vint la frapper à l'arcade. Elle ne venait pas de son œuvre qui se désagrégeait, mais bien de personnes qui l'avaient lancée pour la blesser. Bien qu'elle soit présente depuis des années aux abords de la ville et qu'elle fasse tout en son pouvoir pour leur être utile, ce genre d'attention dont elle se serait passée restait fréquente.

Il s'agissait cette fois-ci d'enfants, remarqua-t-elle en levant les yeux en direction du chemin qui descendait vers la carrière. Celui qui lui avait lancé la pierre visait particulièrement bien, se dit-elle en remarquant que son tire l'avait fait saigner.

— Monstre ! On ne veut pas de toi ici ! Lança l'un d'eux.

— Vos parents ne vous ont pas dit de ne pas vous approcher d'ici ? Que ça pouvait être dangereux ? Questionna-t-elle en s'approchant après avoir rangé son instrument.

Pourquoi posait-elle cette question ? Ce devait être ces mêmes parents qui l'appelaient monstre alors qu'elle ne leur avait jamais rien fait et qu'elle les aidait. Son acte de leur révéler le processus de la cérémonie de l'instrument de l'âme avait grandement amélioré leur quotidien, personne ne pouvait le nier et pourtant, ils continuaient de la traiter comme une paria. Elle savait aussi qu'elle aurait des problèmes si elle ne faisait que hausser le ton face à ces gentils et innocents bambins qui n'étaient certainement pas venus sur son terrain d'entraînement pour lui jeter des pierres au visage.

— Vous devriez partir d'ici avant qu'il ne vous arrive quelque chose, le terrain n'est pas stable.

— Le monstre me menace, j'ai peur, nargua toujours le même en se dandinant.

Vu les rires de ses amis, le chef de la bande était un petit plaisantin. Tout ceci ne l'arrangeait pas. Elle ne pouvait pas reprendre l'entraînement avec une telle distraction qui pouvait lui jeter des pierres à tout moment et ne pouvait pas non plus insister trop fortement sous peine de se retrouver avec une horde de parents chez elle qui allait se plaindre qu'elle s'amusait à les terroriser.

— Qu'est-ce que tu vas faire le monstre, hein ? Continua toujours le même en esquissant un pas en avant pour montrer qu'il n'avait pas peur.

— Attention ! s'exclama-t-elle.

En tant qu'elfe, son ouïe et sa vue étaient bien plus aiguisées que ceux de la plupart des races. Elle entendit donc la terre se craqueler et vit une fissure se créer sous le pied de l'enfant juste à temps pour le prévenir. Il ne réagit cependant pas assez tôt et le sol se déroba sous lui, le faisant dévaler la pente rocailleuse jusqu'au plus bas de la carrière.

L'enfant roula ainsi et se stoppa presque aux pieds de Cristal qui remarqua de suite que sa chute l'avait mis dans un sale état. Son corps était couvert de plaies et un choc à la tête avait dû lui faire perdre connaissance.

— Le monstre a eu Guomeur ! s'exclama l'un des enfants, horrifié.

— Il faut aller prévenir quelqu'un, vite ! Dit un autre.

Avec un courage indéfectible, les enfants restants s'enfuirent et laissèrent leur camarade entre les griffes du monstre.

— Et merde, lâcha Cristal qui sentait déjà les ennuis arriver.  

Le violon de cristal : l'autre mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant