21. Mises au point

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La froideur de son ton lui rappela leurs dissensions. Elle ne pouvait pas en attendre mieux de sa part.

— Peut-être. Mais ce n'est pas ce qui est dans les cartons pour l'instant. Et... c'est ma décision, mon avenir. Pas les tiens.

Il se carra dans son siège, comme rabroué, puis finit par se détendre et sourire.

— Excuse-moi. Tu as raison. Je suis juste... surpris.

Il relâcha sa main.

— Je m'emporte pour rien. Tu ne vas pas partir demain, n'est-ce pas ?

Elle secoua la tête avec un vague sourire.

— Je te remercie de me l'avoir dit. Pas besoin de nous perdre en conjectures. Ce serait stupide de faire des projets, mais aussi de gaspiller des minutes précieuses à craindre les foudres du futur... Nous avons le temps de voir venir.

— J'aurais dû te le dire tout de suite... mais je n'avais pas anticipé...

Elle n'ajouta rien, désigna l'environnement autour d'eux, ce qui fit rire le journaliste. Il semblait avoir avalé et digéré la nouvelle en un éclair. C'était formidable. Peut-être un peu triste. Elle devait s'en réjouir, rien d'autre. Elle chassa cette ombre de déception.

— Raconte-moi plutôt ta soirée d'hier soir... Tu as gagné un prix ?

Sans se faire prier, il se lança dans un récit fantastique, qui chassa les nuages du début de matinée.


Laura rallia l'Institut en solitaire, après avoir convenu avec Sam qu'une confrontation directe avec Ubis était mal inspirée. Elle avait cependant le sentiment que ce n'était que partie remise : le journaliste semblait désireux d'en découdre. En arrivant sur l'esplanade, elle constata cependant qu'une voiture de police familière venait de se garer sur les places réservées, et elle s'immobilisa dans l'ombre d'un arbre dénudé. Dans son joli tailleur, l'inspectrice Haybel gravissait les escaliers à grands pas décidés, droit vers la porte automatique, et, sans doute, la morgue.

Laura sortit aussitôt son portable. Son correspondant répondit dans l'instant.

— Ubis.

— C'est le docteur Woodward. Je me demandais s'il y avait beaucoup de boulot, si ça posait un problème si je ne venais que dans l'après-midi ?

— Non. Aucun. Je me suis occupé de votre cas de la nuit. Depuis, il n'y a plus un mort.

— Qu'est-ce que vous faites là, alors ?

— Paperasserie nécessaire.

— Bon, mais je viendrai en début d'après-midi. De toute façon, j'ai mon téléphone de garde.

— Parfait. Profitez du rayon de soleil et je vous vois plus tard.

Il avait raison, la couverture nuageuse s'était éclaircie. Libérée du poids de la culpabilité, elle s'éloigna de l'Institut pour rallier l'église d'Aaron. Elle pouvait fuir Jill, mais le prêtre ne méritait pas son silence. Il n'avait pas rappelé, mais c'était à son tour de faire amende honorable.


Une fois n'est pas coutume, Aaron n'était pas seul dans la nef. Derrière l'autel, il discutait avec un autre homme, plus âgé, engoncé dans un imposant manteau d'hiver à triple couche. Laura ne repéra son col romain que lorsqu'elle arriva dans les derniers mètres. Les deux prêtres levèrent les yeux vers elle de concert. L'inconnu refléta une surprise tranquille, Aaron une triste alarme.

— Un instant, dit simplement Aaron à son interlocuteur.

Il quitta le choeur et se dirigea vers la jeune femme d'un pas décidé. L'autre lui adressa un sourire pincé.

— L'église est fermée, annonça le curé en arrivant à sa hauteur.

Il la dépassa comme s'il ne l'avait jamais vue et la raccompagna vers la sortie. Interdite, Laura jeta un dernier regard vers son collègue, toujours planté derrière l'autel, puis le suivit. Elle supposait qu'il ne voulait pas qu'on sache qu'il avait sympathisé avec une femme.

— Un souci ? demanda-t-elle lorsqu'ils eurent atteint le parvis.

— Laura, écoute. Je suis désolé.

Il se pinça l'arête du nez.

— Je crois que nous devrions arrêter de nous voir. Les prêtres et les femmes, je crois, ne sont pas faits pour être amis. Je... C'est préférable que nous en restions là. J'ai présumé...

Elle l'avait craint, elle ne pouvait pas s'en surprendre. Néanmoins...

— Aaron –

Il ne lui laissa pas le temps de poursuivre.

— C'est absurde de penser que je puisse rester de marbre ! Comment veux-tu ! Je n'en peux plus et je veux que tu sortes de ma vie, je suis désolé. C'est tout, c'est bien. Ne reviens plus, trouve ce que tu cherches chez Heath, comme tu l'as toujours fait, et laisse-moi en dehors de tout ça.

Il n'attendit pas qu'elle réagisse, entra dans l'église et ferma la porte sur ses pas. Un instant, Laura pensa protester, le poursuivre, forcer le dialogue. Mais pour dire quoi ? Il avait raison, mille fois raison, et elle devait le respecter.

Elle demeura silencieuse sous l'arche de pierre, à la fois blessée et honteuse, complètement sonnée. Puis elle prit une profonde inspiration, compta jusqu'à dix, la relâcha dans l'air glacial. Avant de se détourner, elle contempla une dernière fois l'édifice, et eut un pincement au cœur. C'était presque devenu une seconde maison, après tout, un havre. Elle frôla une statue mutilée du bout des doigts, descendit les marches usées, puis leva le visage vers le ciel. La chaleur timide du soleil lui parut incongrue, vu les circonstances, mais elle décida de le prendre comme une douce marque de réconfort.

Elle atteignit la morgue sans avoir rencontré Jill Haybel et c'était une chance : vu son humeur, elle n'aurait pas fait de quartier. Mais elle ne croisa pas l'inspectrice, et pas davantage son ancien compagnon : les néons étaient éteints et les tables propres, Ubis était parti. Il lui avait laissé un petit message pour la prévenir qu'il avait repris ses dossiers pour travailler chez lui, qu'il reviendrait en cas de besoin, de ne pas hésiter à l'appeler. Elle se laissa tomber sur une chaise et poussa un profond soupir.

Tout ceci était temporaire. Soit un corps surgirait dans le Tren, soit Ubis passerait l'arme à gauche. Elle devait juste serrer les dents le temps nécessaire. Penser au retour à Murmay. Tout irait bien. De légers contretemps, de petites contrariétés.

Elle gagna son bureau factice et en reprit le rangement.

Les affaires des autres (Laura Woodward - T1)Where stories live. Discover now