𝒞𝒽𝒶𝓅𝒾𝓉𝓇ℯ 1 : 𝓃ℴ𝓊𝓋ℯ𝒶𝓊 𝒹ℯ́𝓅𝒶𝓇𝓉

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Saint-Denis, 10 août 1899

Je marchais dans les rues désertes de la grande ville moderne. C'était la première fois, après vingt ans de vie dans une campagne de l'Est de d'Amérique, que je me retrouvais entourée d'autant de monde et de bâtiments que je n'avais jamais vus. Les résidents de la capitale de Lemoyne étaient vêtus comme si tous les jours étaient un dimanche, et la plupart d'entre eux étaient faussement polis. Ils m'adressaient des sourires qui décrivaient parfaitement l'amertume de voir une nouvelle étrangère entrer dans leur riche commune. Il faut dire que je suis parfaitement consciente du fait que je ne suis pas habillée comme les gens attendent qu'une dame s'habille : il m'était inconcevable de porter quoique ce soit qui s'apparente à une robe, et rien que l'idée de porter un corset m'empêchait de respirer.
Il y a beaucoup d'étrangers à Saint-Denis. Moi, je trouve ça rafraîchissant. J'aime l'idée de pouvoir découvrir de nouvelles cultures rien qu'en me baladant dans différents quartiers de la ville. Mais visiblement, les plus conservateurs des habitants ne voient pas ça de la même manière ; je n'avais jamais entendu autant d'insultes racistes que celles de la part de la mineure partie des hommes blancs vivants ici, et pourtant Dieu sait que j'en ai entendu, de là d'où je viens (les campagnards ne sont pas très chaleureux lorsque des étrangers s'infiltrent sur leur terre, personne de couleur ou pas). Pourtant, la majorité des habitants sont des personnes de couleur, mais ceux-ci se contentent d'encaisser le poids des mots qui leur sont adressés. Cette inégalité est insupportable.

Alors que j'étais perdue dans mes pensées, j'entendis une musique entraînante provenir d'une ruelle. À une heure aussi matinale, la plupart des habitants n'étaient pas encore réveillés et les seules personnes que l'on pouvait croiser étaient les travailleurs qui profitaient du court moment de la journée ou la chaleur et l'humidité du bayou environnant n'était pas encore trop étouffante pour faire quoique ce soit. Je m'approchais de la mélodie, les musiques qui étaient jouées dans la capitale étaient très rythmées ; un mélange de blues, de rock et même de boogie parfois. En arrivant devant la source de cette musique, je découvrais un petit groupe de cinq personnes, jouant de la guitare et de la trompette, tout en chantant et dansant. Je devinais aux pas hasardeux des cinq hommes que ceux-ci ne venaient pas de se réveiller, mais qu'ils terminaient leur nuit bien mouvementée. Ils étaient situés devant un saloon tristement désert et sale, après une nuit ordinaire dans un pauvre quartier de Saint-Denis. Un petit panneau indiquait l'inscription « 24/24h, 7/7j ». J'en conclus donc que l'homme se tenant derrière le bar venait tout juste de commencer son service, et que son prédécesseur devait être parti dormir afin de reprendre sa place ce soir.
Je décidais d'entrer. Je m'avançais à pas hésitants vers le comptoir, et y déposait deux billets d'un dollar.
-Vous êtes perdue ?
L'employé m'adressa ces mots tout en me regardant avec des yeux curieux mais surtout effrayés. Je suis certaine qu'il devait avoir peur de s'attirer des ennuis en servant une femme probablement mariée ayant fui son domicile pour donner de l'amour à un autre homme que son époux, et que celui-ci débarquerait et viderait son chargeur entre les deux yeux de ce pauvre homme. Ou alors, la simple idée de voir une femme seule était suffisante pour effrayer un homme de cette époque.
-Sauf si vous ne servez pas à boire, je ne crois pas
Je lui désignais une bouteille.
Le petit homme, les joues déjà rosies par le vin, attrapa, non sans difficulté, un rhum presque entièrement entamé après une longue nuit, posée sur le haut de l'étagère suspendue au dessus du bar. Il posa ensuite un petit verre mal lavé, dont les utilisations récurrentes l'avaient presque rendu opaque. Il leva ensuite les yeux vers moi comme pour attendre mon consentement et ne pas me rendre ivre contre ma volonté.
- J'ai beaucoup de route à faire, lui lançais je en lui adressant un regard froid, synonyme de ma lassitude à force de me faire traiter comme une personne fragile.
Il me servît, remplissant entièrement le verre. Je le bus d'une traite, sans grimacer ce qui étonna, une fois de plus, le barman.
Je ne voulais pas rester une seconde de plus dans cet endroit, je compris que je n'aurais pas de réponse et je ne souhaitais pas non plus faire mourir cet homme d'une crise cardiaque si je commençais à lui raconter pourquoi j'étais ici et lui demander des conseils. Je me relevais donc et sortis. Je remarquais que les musiciens n'étaient plus là, mais que la ville commençait déjà à se réveiller. Je ne voulais pas me mêler à la foule, je m'approchai donc d'Artemis et la montais, en direction d'un quartier que je savais calme.
Sur le chemin, beaucoup de têtes se tournaient vers moi, et certains enfants me montraient du doigt. Comprenez, une femme qui monte à cheval seule, en pantalon qui plus est, est digne d'être enfermée dans un zoo, ou un cirque. Je décidais de ne pas m'en soucier. Je devais absolument trouver de l'aide. Mon but était de rejoindre une bande afin d'apprendre davantage à me défendre, à vivre librement. Je voulais ensuite me renseigner sur le « métier » de chasseur de prime. C'est très comique, ce travail aide l'état et les forces de l'ordre mais il est pourtant très mal vu par les gens qui restent chez eux à l'abri du danger. Ils sont pourtant très contents de pouvoir se sentir en sécurité une fois la tâche faite par quelqu'un d'autre. J'ai passé mon enfance à jouer au bandit et au shérif avec ma sœur cadette, Emily. C'est surement pour ça que je suis si attachée à l'ordre. Ou peut-être est-ce suite à la mort de mon père, tué par l'un de ces hors-la-loi, que j'ai développé ce désir de la faire respecter.
Nous n'avons jamais su qui ils étaient ni pourquoi ils l'avaient assassiné. Rien dans la maison n'avait été volé, et le corps n'avait pas non plus été amené, comme pour une prime par exemple. J'aimerais les retrouver et venger mon père mais il faut d'abord que je devienne plus expérimentée.

En étant, comme dans mon habitude, plongée dans mes pensées, je manquais de renverser un homme relativement frêle, portant une moustache et un bouc d'une élégance exagérée.
-Regardez où vous allez ! me hurla-t'il avec un accent français affreusement prononcé. De toute évidence, il n'essayait pas de le cacher et il ne faisait aucun effort pour prononcer les mots correctement. Malgré son caractère sûrement très désagréable, je décidai de me jeter à l'eau et de commencer à chercher des informations.
-Excusez-moi Monsieur, mais je suis à la recherche de quelqu'un qui maîtrise la vie sauvage et qui, sans demander une grande fortune en échange, saurait me l'apprendre
Il me dévisagea comme si je venais d'égorger un nourrisson. Je savais que la tâche serait laborieuse, mais visiblement j'étais loin d'y être assez préparée.
Il bafouilla :
-Je... eh bien, il y aurait peut être quelqu'un en effet. Mais pour une jeune femme comme vous... peut être que ce n'est pas une bonne idée. Vous devriez plutôt m'accompagner, je peins de belles créatures dans votre genre afin de préserver pour toujours cette... étincelle !
L'homme exprima cette dernière idée afin un brin de folie légèrement inquiétante.
-Je ne suis pas du tout intéressée par l'art. Je veux l'information que vous détenez et même si pour cela je dois utiliser la force.
J'essayais de prendre un ton menaçant, même s'il était inenvisageable que je fasse quoique ce soit qui pourrait déjà mettre en péril ma liberté.
Il déglutit, et j'aurais pu jurer avoir vu une perle de sueur couler sur son front. Soit j'avais réussi à prétendre que j'étais dangereuse, ou soit le courage de cet homme était proche du néant. J'optais pour la deuxième option.
-Et bien... C'est vous qui voyez. Dutch, je crois que c'est le nom du chef de la bande. Ce sont des brigands, des bandits, des... criminels ! Mais l'un d'eux m'a aidé plusieurs fois et je peux, sans me vanter, le considérer comme un ami. Je ne vous donnerai pas son nom ni où ils se nichent mais vous le trouverez avec eux, je ne veux pas lui attirer d'ennuis, vous comprenez mademoiselle. Dites que c'est Charles Chateney qui vous envoie et vous serez sûrement bien accueillie.
Il avait l'agaçante manie de tripoter sa moustache en parlant et de me regarder d'un air arrogant digne d'un européen. Mais il m'avait cependant délivré une information qui valait de l'or. Je le remerciais, je n'avais rien à lui donner si ce n'est ma gratitude. Je m'éloignais, toujours sur le dos d'Artemis, en réfléchissant à ce qu'il venait de me dire ; non seulement il m'avait donné ce que je voulais, mais il avait aussi évoqué un nom qui résonnait comme un écho dans ma tête : Dutch...

Fuir ou Mourir Where stories live. Discover now