Chapitre 1

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Charlie - Aeterna


— Charlie, nous t'attendons pour manger !


Le vent caressait doucement mon visage. Le filet continua d'entrer dans la pièce créant une sensation de fraîcheur sur le reste des meubles. Devant moi, des immeubles se battaient pour savoir qui était le plus haut dans une danse de verre et de bleu. Chaque parcelle avait été minutieusement pensée pour que tout soit parfait. Pas un millimètre ne dépassait d'un autre. La cité brillait de par sa transparence. Signe de vérité. D'ici je pouvais entendre le bruit des currus se balader dans une douce mélodie. Quelques carrés d'herbe se battaient en duel devant la ville. Des arbres, des fleurs et des buissons avaient été déposés sur ces plateformes. Peut-être pour donner une sensation de liberté. Mais tous savaient que les végétaux ne poussaient pas librement. Pour éviter les maladies. Ce paysage me fit contracter ma main autour de ma prise.
Ma main était sur la poignée de la porte. Si je décidais de franchir le pas, tout s'arrêtait. Cependant, si je décidais de la refermer, tout resterait comme avant. Voire pire.


— Charlie, bon sang ne passe pas autant de temps à réviser. À ce rythme-là, ça ne sert plus à rien. Viens plutôt manger pour te rassasier, c'est une meilleure solution.


Encore une fois, le doute m'assainit. Ça faisait maintenant plusieurs jours que j'avais tout préparé. Mes affaires avaient été soigneusement organisées dans le sac à dos que je portais. Vêtements, nourriture, eau, une trousse de pharmacie. C'était suffisant pour que je puisse m'échapper. Je quitterais la ville, je traverserais la forêt jusqu'au petit ruisseau et j'entamerais la recherche des Reculés. Je pourrais être libre.
Mais cette liberté avait un coût : je déshonorais ma famille, je perdrai ma capacité, je ne pourrais jamais avoir d'Académie ainsi plus d'amis, de métier et encore moins de place dans la société.
La liberté m'appelait. Elle était là devant moi. Mais sans m'en rendre compte, je refermais la porte. Ce mouvement emporta le paysage de la ville avec mes rêves en même temps.
J'avais choisi.
Définitivement.


— J'arrive ! Je finis de ranger mes livres et je vous rejoins.


Mon cerveau avait parlé pour moi. Encore. Mais c'était fait, j'avais choisi mes parents, pour le meilleur et pour le pire. J'entrepris de ranger mon sac à dos dans la pièce qui me servait de chambre. Sans un regard en arrière, je me détachais les cheveux. Quelques mèches brunes plus courtes que les autres arrivèrent dans mes yeux, « aïe ». Heureusement pour moi, cette plainte n'avait pas franchi le rempart de mes lèvres. Rester forte. En toute circonstance. C'était ainsi qu'on atteignait nos objectifs.
Les ampoules du couloir tanguaient de droites à gauche, suspendu grâce à un fil, je me sentais comme sur un bateau. Un interminable chemin me séparait de la cuisine. Les cadres où étaient représentés mes ancêtres, m'oppressaient. C'était comme si j'avais le poids de toute une famille sur les épaules. Ce n'était d'ailleurs pas vraiment une impression. C'était pour toi. Ewa. Toi et toi seule. J'essuyais la sueur qui perlait sur mon front pendant que mes bottes frôlaient le parquet.


— Eh bien, ce n'est pas trop tôt ! S'exclama Asia d'un air ravi.

Ses yeux étaient remplis de fierté, elle me fit signe de m'asseoir. Mais ce n'était pas à ma place habituelle. C'était à côté d'elle, et en face de mon père. La place d'Ewa. Mon cœur se serra à la vue de la chaise. Vide depuis des années. Je m'assis avec précaution comme si, à tout moment, ma mère allait me demander de me relever. Mais elle ne le fit pas.
Mon assiette était remplie, des profiteroles au fromage étaient au nombre de six dans mon assiette. Elles étaient toutes d'une couleur différente : une verte, une noire, une jaune, une bleue, une blanche et enfin une rouge, le plus gros. Je regardais excéder, une fois de plus par l'égoïsme de ma mère, mon père. Il détourna les yeux aussi vite qu'il pouvait manger trois dulcia, ce qui eut le don de m'énerver encore plus. Mais je n'avais pas faim.
La luminosité de la pièce, due aux grandes baies vitrées qui en faisaient le tour, contrastait avec la tension qui régnait. Encore une fois, tout était astiqué dans les moindres détails. Le blanc de la pièce me donnait une migraine à chaque fois que je la regardais un peu trop longtemps. La salle à manger, ainsi que le reste de la maison était sans vie. Il n'y avait pas de décoration, juste des meubles et le strict minimum pour survivre. « L'humain n'a pas besoin de plus pour être heureux » ne cessait de me répéter Asia quand j'étais enfant. Ainsi, seule une atmosphère de vide régentait ma vie. Le vide, le blanc, le parfait. C'était tout ce que j'avais.

— Tu pourrais manger un peu, tu sais.

— Mmmh

Je savais très bien que ce n'était pas ce qu'elle attendait. Mais pour une fois, je n'avais pas envie d'être la parfaite petite fille qui obéit les yeux fermés. Ma fourchette tournait entre mes doigts. L'incertitude gagnait peu à peu du terrain, mais malgré tous mes efforts pour ne pas qu'elle fasse réagir le capteur, celui-ci sonna. « Stress et incertitude pour 080087 ». L'oratio avait parlé. Je me mordis inconsciemment la lèvre inférieure et agrippai la table. J'avais besoin d'un point d'ancrage. J'attendis une remarque de la part de mère. Une qui serait glaçante et sans retenue, comme à son habitude quand je ne lui étais pas semblable.

— Asia

Mon père venait de murmurer le nom de ma mère. Il lui attrapa le bras et le serra doucement. Mon cœur, qui s'était écrasé au fond de ma poitrine, se remit à battre quand ma mère referma ses fines lèvres. Il me fit signe avec autant de calme qu'à son habitude d'aller me coucher.
Je fis ce qu'il dit. Le remerciant intérieurement. Je savais qu'il regarderait son motus, il le faisait toujours. Je repartis dans le couloir interminable laissant derrière moi des profiteroles écrasées et une mère dépassée.

Ma chambre, notre chambre, avait été modifiées il y quelques années. À son départ. Maintenant, elle ressemblait au reste de la maison : sans vie. Je m'allongeais sur mon lit immaculé qui avait le mérité d'être confortable. Mon regard glissa instinctivement vers mon sac à dos avec l'impérissable impression que j'avais la plus grosse erreur de ma vie. Mais c'était trop tard. J'avais choisi. Je ne pouvais plus revenir en arrière.

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⏰ Last updated: Mar 11, 2023 ⏰

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