soixante-quatorze

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Elle dépose un autre baiser sur sa mâchoire pour accompagner ses propos. Pierre ne s'arrête plus de sourire, il ne peut s'empêcher de penser qu'elle aussi lui fait beaucoup d'effet, il suffit de voir à quel point son cœur s'est affolé quand il a passé le palier.

Pierre se perd dans ses pensées et il entend vaguement la pianiste chuchoter son prénom dans l'obscurité. Il reconnaît bien trop le ton de sa voix lorsqu'elle est troublée, il passe un bras dans son dos pour assurer qu'il l'écoute attentivement.

- Je suis un peu stressée pour le rendez-vous de demain, avoue-t-elle. Elle va juste donner la date de la césarienne. Je sais qu'il faudra bien qu'il naisse, j'ai hâte que le bébé soit avec nous mais en même temps j'ai un peu peur parce que ça se rapproche.

- Ça va aller, je te le promets.

- Et si... si il y a des complications lors de l'opération, promets-moi que tu diras aux médecins de sauver le bébé en priorité.

Le cœur de Pierre s'arrête sur ses propos, l'idée d'un tel choix ne l'avait encore jamais effleuré. Il se redresse aussitôt comme brûlé par ces mots, il comprend qu'elle a réfléchi à cela depuis bien longtemps à l'entente du ton qu'elle a employé.

Elle est sûre d'elle et elle comprend que Pierre n'est pas de cet avis lorsqu'il se penche pour allumer la lampe de chevet. Esmée se pince les lèvres en apercevant son visage pour la première fois depuis plusieurs jours.

Esmée meurt d'envie de l'embrasser mais elle vient de réveiller une lueur  tourmentée dans son regard, illuminée par la lumière dorée de la lampe de chevet. Elle l'observe passer une main dans ses cheveux bruns en soupirant lorsqu'il s'assoit en tailleurs au milieu des draps pour réfléchir avant de parler.

Ses sourcils sont froncés sous la réflexion et Esmée comprend qu'il est déstabilisé par ce qu'elle pense depuis si longtemps, depuis qu'elle a perdu Timéo et qu'elle ne souhaite pas connaître une autre douleur aussi profonde, elle ne s'en remettra pas. Elle ne pourra pas vivre avec la mort d'un second enfant alors qu'elle aurait pu le sauver.

- A quel moment tu t'es dit qu'il y aurait un problème ? A quel moment tu penses à faire ce choix ?

Pierre secoue la tête pour chasser les pires scénarios de ses pensées, mais ça n'empêche pas l'affluence des larmes aux coins de ses yeux. Il reconnaît d'une voix étranglée :

- Je ne peux pas te le promettre car je ne suis pas d'accord avec toi. Des enfants, on peut en avoir d'autres mais que si tu es là, j'en veux qu'avec toi.

- Des enfants de remplacement alors...

La pianiste déglutit difficilement en détournant le regard de Pierre, elle s'extirpe de la couverture avec lassitude. C'est tout ce qu'elle souhaitait éviter, c'est ce qu'elle lui avait dit lorsqu'ils étaient au cimetière pour voir son fils. Elle ne souhaite pas le remplacer par un autre enfant, elle ne souhaite pas l'oublier et par dessus tout, elle ne veut pas connaître cette douleur de perdre l'enfant qu'elle porte en elle.

- Esmée, je n'ai pas dit ça.

- Je ne pourrais pas vivre avec la mort de mon bébé mais t'as pas l'air de le comprendre, maugrée-t-elle.

- Et tu crois que c'est bien pour un bébé de naître sans sa mère ? Tu penses que laisser un enfant avec cette culpabilité toute sa vie, c'est bien ?

- Si tu me choisis, je ne te le pardonnerais jamais.

Sa voix est amère et Pierre l'observe quitter la pièce pour se diriger vers le salon. Il se lève pour la suivre en étant complètement déchiré par ce qu'elle est en train de dire. Il s'arrête dans le couloir, à la frontière du salon, menant vers leur chambre. Il s'appuie contre le mur et il murmure simplement :

SYNDROME » Pierre Gasly ✓Where stories live. Discover now