Burma

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J'ai regardé l'heure. L'après-midi était effectivement bien entamée. Je constatais que miraculeusement je n'avais pas eu le moindre signal de détresse du côté des mes rognons, peut-être que le calcul était passé en douce, je le souhaitais de toutes mes forces. J'étais maintenant le dernier client dans la salle du Marin. Le serveur avait disparu ainsi que le cuisinier et le plongeur que j'avais entre-aperçu au delà du passe plats. Le patron était seul, sur un côté du bar où il avait allumé un pc portable. En m'approchant de la caisse, je vis qu'il surfait sur E-Bay.

─ Vous êtes accro aux enchères sur le net? Faites attention, c'est plein de requins.

─ Pas de soucis, ici on connaît. Elle vous a plus l'escalope?

─ Excellente. Vous êtes ouvert le soir?

─ Oui, mais pour le bar seulement. Le soir, il faut aller dîner sur le quai de la marine. Au Bistrot du Port, ils font un menu complet à 15 euros. Un ancien chef étoilé au piano, une fête assurée.

─ Merci du renseignement. Pour le même prix, vous pourriez me dire combien de temps va durer cette purée de pois?

─ Le marin? Il faut attendre le vent du nord pour que le marin s'en aille. Avant on savait quand la tramontane se levait, il y avait tout un tas de dictons pour s'en souvenir. Maintenant que le climat est foutu, on sait plus rien.

─ Vous dites la tramontane?

─ Parfaitement, la tramontane ou le mistral ou le labech, les vents du nord quoi.

─ Désolé de mon ignorance, je pensais qu'il s'agissait du vent soufflant d'Espagne, au travers des montagnes.

─ C'est bien une foutaise de Parisien, ça. Alors j'encaisse. Non! Pas de carte de crédit à cette heure. Du liquide seulement. Y'a un distributeur au coin de la rue si vous êtes à cours.

J'ai payé avec un billet de 50 euros que le patron a examiné avec suspicion avant de le glisser directement dans son portefeuille. Il doit vraiment régler son personnel au black et hurler pour avoir la TVA à 5%. En faisant cette réflexion sans illusion sur la corporation du patron, j'ai serré la ceinture et remonté le col du trench qui avait suscité la vanne d'Antoine Zianelli. Il fallait que je fasse le tri des informations que le journaliste de "Sud" m'avait donné. J'avais besoin de marcher pour réfléchir.

Je sortis du Marin en faisant un petit geste de la main au patron qui était trop absorbé par ses transactions sur le site d'enchères pour s'en apercevoir. Le brouillard était moins épais mais la nuit était tombée.

Je pris la direction de la mer, en logeant le quai qui était encombré par des tas de filets protégés par des bâches blanches ou bleues. Les restaurants, dans lesquels les touristes se bousculent en été, affichaient la date de réouverture sur des devantures sombres. Les voitures étaient rares. J'avais passé le pont de la Savonnerie, j'arrivais à la criée, quand une antique Mercedes grise, pleine de bagages, s'arrêta à ma hauteur. Sans doute un Marocain perdu qui cherchait la gare maritime.

La vitre du conducteur se baissa. Je m'apprêtais à dire que je n'étais pas du pays et que je ne connaissais pas la direction de l'appontement des ferries pour Tanger (ce qui était à moitié faux), quand une tête émergea de la relique ambulante, une tête de gredin sympathique avec un mégot rougeoyant au coin des lèvres.

─ Montez, il faudrait qu'on cause.

J'ai eu envie de lui répliquer "je ne suis pas celle que vous croyez", mais je me suis rappelé que tout le monde en ville savais apparemment qui j'étais.

─ Franchement je ne vois pas pourquoi je monterai dans une poubelle allemande à côté d'un argousin qui sort de nulle part. Et puis, franchement, je viens de passer la moitié de la journée à m'enfumer dans un rade à zombi, j'ai besoin de respirer de l'air frais et de marcher un peu. Alors, qui que vous soyez, foutez moi la paix.

Combien de temps ce marin va-t-il souffler?Where stories live. Discover now