1. Promenade tardive

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     L'air frais de l'hiver nord américain semblait batifoler autour de Leah. Elle sentait les courants frais l'entourer tandis que ses pas s'accéléraient parmi ces ruelles sombres et inquiétantes. La nuit était déjà tombée depuis longtemps et la lune, réduite à un croissant, trônait dans le ciel. Leah ne prit conscience de l'heure seulement au retentissement des cloches d'une église voisine, sûrement coincée entre les nombreux grattes-ciel. Dix sonnailles se firent entendre. De nos jours peu de gens s'embêtent à aller à l'église, on se demande bien ce qui permet à celle-ci de tenir encore debout. Les gens ont besoin de croire à quelque chose en ce moment, mais la religion les dépasse, ils se contentent des livres de développement personnel et des podcasts qui enseignent la pleine conscience. Leah ne comprenait pas vraiment les humains.

      Elle avait passé la journée dans les coins sombres de Détroit, les coins reculés que peu de personnes banales fréquentent. Elle se demandait parfois ce qu'elle y faisait, pourquoi elle ne partait pas en disparaissant, elle n'a rien dans cette ville ni nulle part ailleurs. Elle pourrait s'échapper et faire sa vie autre part, changer de nom et devenir quelqu'un d'autre. Mais elle ne le fait pas. Il y a des gens ici, où du moins il y en avait, Leah a toujours gardé espoir au fond d'elle, qu'ils soient encore en vie. Elle n'abandonnera pas, c'est la seule chose qui l'anime. Ça et ses recherches la retiennent même si cela reste abstrait, rien de tout ça n'est sûr. Ils pourraient tous être morts et ses recherches en robotique pourraient être vaines.

      En tout cas la contrebande, le trafic, et tout ce que cela entraîne permettent à Leah de financer aisément son appartement, un tout petit logement qu'elle utilise comme un laboratoire. Elle paye cher mais le propriétaire, Jake Carter, ne lui pose pas de question et ne cherche pas à en savoir plus sur elle et ses activités. Jake est un cinquantenaire aux origines anglophones qui ne peut se passer de son verre de rhum chaque soir et de sa dose de Red Ice chaque week-end. Il est déjà arrivé à Leah de le croiser dans ce bar un peu sombre qu'elle fréquente pour discuter de ses activités illégales. Cependant lui se contente de se fournir en boisson, Leah ne sait pas où il trouve sa drogue, mais ce serait peu étonnant qu'il en soit le producteur. Ils sont pareil tous les deux, alors ils ne se cherchent pas de problème.

      Un flocon de neige atterrit en douceur sur le bout de son nez ce qui lui fit lever la tête, Leah venait de rejoindre le centre ville du quartier. Les derniers commerces s'apprêtaient à fermer, les lumières publiques commençaient déjà à s'éteindre. On entendait au loin des bruits provenant de la décharge à ciel ouvert en plein milieu de Détroit. La ville est chaque année de plus en plus délaissée, plus personne ne veut vivre ici depuis longtemps, la population est vieillissante, les jeunes font leurs études plus loin et la crise des androïdes n'a absolument pas aidé. Contrairement à ce qu'on aurait pu penser il y a peu de personnes sans domiciles fixes dans les rues. La plupart des androïdes ont fui où ont été détruits et de nombreuses personnes ont abandonné leur vie ici pour le Canada ou d'autres États. Avec autant de postes vacants, beaucoup ont trouvé un travail et un logement, même insalubre. Cependant ça ne durera pas longtemps, la ville est voué à disparaître...

      La neige continuait à tomber en douceur. Les flocons semblaient presque flotter, c'était doux et presque poétique. Leah aimait la nature, même si elle n'en fait pas partie. La nature n'a sûrement jamais voulu des gens comme elle mais tous tentons de s'y faire une place.

      Un groupe d'adolescents passèrent à côté de Leah, en réalité ils la frôlèrent. Par réflexe elle attrapa son bonnet et le tira pour cacher complètement ses oreilles, et replacer correctement sa capuche par-dessus. Une mèche bleue de cheveux tomba avec souplesse devant son visage. Leah s'est toujours dit que cette couleur attirait le regard et permettait aux gens de ne pas remarquer sa diode et ses cicatrices bleutées cachées sous son bonnet. Le groupe s'éloignait derrière elle, aucun d'eux ne l'avait ne serait-ce que vu, Leah était rassurée. Elle a toujours eu cette peur que les gens comprennent qui elle était. Même en gardant sa diode d'androïde et avec des cheveux bleus elle essaie de me faire discrète. Elle ne sort en publique que pour le besoin de ses activités, sinon Leah reste cloîtrée dans son appartement et où elle a besoin d'être pour se faire quelque dollars.

      Leah s'approchait de son immeuble, les bâtiments lui semblaient déjà plus familier. Les ombres et les coins reculés lui faisaient moins peur. Malgré son activité et les lieux dans lesquels elle la pratique, Leah a toujours une appréhension dans ce genre d'endroit. Après son réveil, le monde extérieur lui faisait peur. Une mauvaise expérience dans une ruelle avec un humain par la mort de l'androïde qui l'avait sauvée lui ont suffit à appréhender chaque instant de sa vie. Il y a donc des restes de tout ça sur Leah mais ici sa peur reste faible, elle connaît ce quartier comme sa poche. Elle rejoignit une allée, les lampadaires étaient encore allumés et les appartements des édifices illuminaient son chemin.

      Finalement Leah put entrer dans son appartement. Tandis qu'elle montait les escaliers elle entendait des rires gras provenant du seul appartement du rez-de chaussé. Monsieur Carter devait accueillir l'une de ces soirées jeux d'argents dont il a le secret, elles finissent toujours en bruits de verre brisé. Devant son studio, il fallut plusieurs minutes à Leah pour trouver ses clés quelque part dans le fond de ses poches. N'importe qui le souhaitant pourrait y entrer sans trop d'efforts mais elle tenait toujours à fermer la porte à double tour.

      Après avoir refermé derrière elle, Leah s'appuya quelques instants contre le mur pour observer son intérieur. Il était plein d'écrans éteints ou non et de fils branchés à des choses où non. Dans un coin, plusieurs imprimantes 3D attendaient que Leah récupère ses créations. Sur son bureau, en plein milieu de la seule pièce, un grand écran affichait un téléchargement terminé. Sur le plan de travail de la cuisine, plusieurs fioles remplies d'un liquide bleu attendaient près de nombreux accessoires numériques. On ne le voyait pas, mais le grand frigo abritait de nombreux autres mélanges plus ou moins bleutés.

      Leah s'approcha de la grande fenêtre tout en retirant sa veste noire et son bonnet, elle déposa ses clés sur le bureau. Elle ouvrit la vitre, et, en s'appuyant contre la barrière, observa la ville. D'ici on voyait parfaitement la lumière de la grande décharge de la ville, de nombreux androïdes comme Leah y ont fini leur vie, elle est persuadée qu'il en reste des vivants. Un jour elle ira voir. Il y avait peu d'étoiles ce soir-là et les quartiers s'éteignaient tour à tour, la ville n'avait plus les moyens de financer un éclairage nocturne continu. Même si cela favorisait sa peur, Leah aimait le calme que cela apportait.

      Detroit avait passé les trois dernières années à vouloir détruire chacun de ses frères, et chacune de ses sœurs, mais elle, cette ville, elle l'aimait. Elle est le seule monde que Leah ne connaisse et rien ne pourra la remplacer dans son cœur, même s'il n'est pas fait de chair.

Et si RA9 avait eu tort. [ Détroit Become Human ]Where stories live. Discover now