Marchons

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Hier soir, mon mari ne m'a pas touchée plus haut que les pieds. J'ai bien vu son envie de glisser la main entre mes cuisses, là où une culotte criait son absence par mes lèvres roses et mon buisson touffu. Mais non, je n'ai pas voulu entrer dans cette excitation automatique, même si j'ai savouré le petit avantage qu'elle me donnait sur lui. La migraine, heureux prétexte ! Tellement rebattu qu'il a fait son office : de nos jours, on n'ose plus croire qu'une femme s'invente des maux de têtes pour échapper à son devoir conjugal. J'ai bien dormi.

Et ce matin il faisait beau. Un air clair et vif, rafraîchi par une petite pluie nocturne. Je suis sortie toute guillerette, prête à bien profiter de cette journée. Mes escarpins claquaient sur le trottoir mouillé avec un joli bruit. Tout allait bien, même si le monde autour de moi s'en fichait.


Un balayeur, le mégot planté dans une bouche sans lèvres, poussait des ordures dans le petit torrent du caniveau. Mon pas claquettes lui a fait lever des yeux au blanc tout jauni. Je lui ai souri et il a détourné le regard. J'aurai peut-être dû mettre mon tailleur rose.


J'ai marché jusqu'à la deuxième station de métro, comme la veille. Une paire de cadres dynamiques remontaient l'escalier au pas de course. D'ordinaire je me serais poussée de côté, mais là, je n'ai pas bougé, attendant qu'ils me contournent ou qu'ils m'écrasent. « Il faudra me passer sur le corps » dit l'expression consacrée, et franchement il ne m'aurait pas déplu que le plus brun des deux la prenne au pied de la lettre. Il a levé les yeux juste avant de me rentrer dedans. Une petite moue a déformé son beau visage alors qu'il hésitait : m'engueuler ou me siffler. Je ne sais pas s'il a cédé devant mon sourire ou mes formes rebondies, mais il a fini par s'écarter en soupirant, pendant que l'autre continuait de frimer en lui racontant sa nuit avec une fille de bar. J'aurais pu me sentir triste de ne pas exister à leurs yeux. Mais rien ne m'atteignait dans mon envie de croquer cette journée.


Sur le quai d'en face, j'ai retrouvé l'ado renfrogné à capuche. Le panneau lumineux annonçait le prochain train dans trois minutes : j'avais tout le temps. Je l'ai donc regardé fixement, en souriant et en me dandinant un peu sur mes talons. Il a bientôt levé les yeux, et j'ai accentué mon sourire. Il a jeté un regard à gauche et à droite, pour vérifier qu'il était seul ou que personne ne se moquerait de lui, puis il m'a craché par-dessus les voies :

— Qu'est-ce t'as ?

— Moi ? Je suis heureuse. Et toi ?

— Heureuse ? Non, mais tu t'es vue ?

— Oui, hein ? Et pourtant... Tu devrais essayer.

— D'avoir l'air moisi ?

— Non, ça tu l'es déjà. Essaye plutôt de t'en moquer et d'être heureux quand même.

— Nawak...

— C'est ça, nawak. Mais rappelle-toi : quand mon train arrivera, il va m'emmener vers une belle journée. Le tien va dans l'autre sens. C'est toi qui vois.


Et juste au moment où le métro pointait hors du tunnel, j'ai relevé doucement ma jupe. Le gamin a eu le temps d'apercevoir mon porte-jarretelles avant que le premier wagon nous sépare dans un bruit de freinage ricanant. Celui-là, un matin, je ne serais pas surprise de le retrouver de mon côté du quai.


En arrivant à l'agence, j'allais me diriger vers l'ascenseur comme d'habitude lorsque j'ai vu notre stagiaire faire traîner son deuxième café au bar. Et pourquoi pas ? Je me suis approchée.

— Bonjour Romain, belle journée, n'est-ce pas ?

— Hein ? Heu... bonjour Madame.

— Non, Romain, nous ne sommes pas au bureau ici, pas encore. Il n'y a pas de Madame. Appelez-moi Marie-Anne. Et je vous appellerai... Romain, comme d'habitude. À moins que vous ayez un petit nom à me confier ?

— Un petit... Non, enfin, je... non.


Je me suis assise sur un tabouret à ses côtés en croisant les jambes bien haut. Mes bas ont fait un joli bruit, presque crépitant, comme si des étincelles d'électricité statique leur étaient arrachées. J'ai suivi le regard de Romain : on voyait distinctement apparaître le haut plus dense de mes bas, ainsi que les agrafes du porte-jarretelles qui  déformaient l'ourlet de ma jupe. Mes bonnes cuisses se montraient sous leur meilleur jour.

— Allons, Romain, ne me dites pas que votre chérie n'a pas trouvé quelque chose de plus sexy pour vous féliciter, sur l'oreiller.

— Bah... Non, j'crois pas.

— Elle n'a aucune raison de vous féliciter ? À votre âge ? Je n'en crois rien. À moins que...

— À moins que... quoi ? demanda-t-il avec un début de lueur d'intérêt dans le regard.

— À moins que vous n'ayez encore quelques petites choses à apprendre pour donner à une femme de bonnes raisons de vous féliciter... sur l'oreiller.

— Des petites choses ? Je ne vois pas...

— Justement, mon petit Romain, vous ne voyez pas. C'est peut-être le problème. Vous êtes jeune, vous n'en avez pas encore assez vu. Il faudrait quelqu'un d'un peu expérimenté, et d'un peu généreux aussi, pour vous montrer.

— Ah... Et, vous avez quelqu'un en vue ?

— Peut-être, oui. Et vous, qui voyez-vous ?


Je me suis redressée, mains sur les reins, en m'étirant le dos bien cambré, comme si la position imposée par le tabouret m'avait crispée. Hasard, un bouton de mon chemisier se défit sous la pression, révélant la bordure de dentelle qui gainait mes seins débordants. J'ai cru entendre la mâchoire de Romain se détacher et tomber dans sa tasse. C'est le moment qu'a choisi Big Boss pour entrer de son pas rapide. Il s'est arrêté en nous voyant au bar, puis a regardé ostensiblement sa montre.

J'ai gardé la pose une seconde de plus que nécessaire. Quelque chose d'instinctif. Et j'ai cru sentir des effluves de rut m'environner. La température est montée d'un cran. Même la serveuse du bar me fixait la poitrine. Et j'ai ressenti, oui, une forme de pouvoir encore inconnue de moi jusqu'ici.

J'ai aimé ça.


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⏰ Dernière mise à jour : Apr 28, 2015 ⏰

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