Rentrons

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J’étais partie avec le sourire ce matin, et je suis rentrée avec le sourire ce soir. Mon mari passait l’aspirateur après avoir fini d’épousseter la bibliothèque à DVD. Il manque peut-être d’imagination et de prévenance au lit, mais il assure partout ailleurs. C’est pour cela que je ne lui en veux pas. Je ne lui en ai jamais voulu, d’ailleurs. Jusqu’à aujourd’hui, moi aussi je manquais d’imagination. Et je manquais d’envies. On dirait que cela va changer.

Ce n’est pas d'avoir senti le goût du sexe de mon patron qui provoque ce changement. Ni même de l’avoir vu battre en retraite devant moi ou me supplier de finir ce que j’avais commencé. Non, ce qui me pousse c’est de me rendre compte qu’il y a tout un monde à découvrir. Ce n’est pas un monde interdit. Je peux y aller, avancer, essayer. Mon corps et mes sensations sont un véhicule d’exploration. Un véhicule à double usage qui m’entraîne aussi bien à m’aventurer en territoire extérieur inconnu qu’à expérimenter mon terrain de jeu intérieur.

Bon, c’est de la théorie tout ça. En pratique, je sens que je vais me lâcher un peu plus envers les autres et me faire plaisir, oh oui ! Déjà, quand je suis revenue dans le bureau, Rachel était arrivée. Elle se remettait un peu de rouge aux lèvres et m’a regardée par dessus son petit miroir.

— Bonjour, heu… Madame…
— Bonjour Rachel, oui, bon jour. Bonne journée. Très bonne journée !

Je lui ai envoyé un clin d’œil, sans trop savoir ce que je voulais dire par là, ni si je souhaitais vraiment partager avec elle ce que je ne pourrais pas encore appeler « ma révolution sexuelle », mais presque. Elle m’a regardée d’un air interloqué, me balayant de la tête au pied. J’avais vérifié aux toilettes que je ne gardais aucune trace de ce qui s’était passé à la photocopieuse. Alors, que cherchait-elle ? Je ne sais pas. Peut-être qu’il me restait un peu d’excitation aux joues. Peut-être que je dégageais des ondes nouvelles, comme si j’étais passée du statut de tortue à celui de panthère.

— Tout va bien Madame ?
— Oooh Ouiii ! ai-je rugi. Très bien. Très mieux, même. Et vous Rachel, ça biche ? Bonne nuit ? Bien dormi ? Ou alors une nuit agitée ? Non, laissez, ça ne me regarde pas.

Je ne sais pas si on peut dire que Rachel est une femme attirante. Il me faudrait l’avis d’un homme. Pour ma part je la trouve un peu maigre et sèche. On me dira que c’est la réaction normale d’une ronde lorsqu’elle étudie le physique d’une mince. Mais Rachel est… disons anguleuse.
Voilà, anguleuse, la poitrine plate, la fesse invisible, les hanches pointues, des poignets osseux qui cliquettent de bracelets mais cliquetteraient peut-être sans bracelets. Heureusement ses yeux attirent le regard. Grands et un peu tombants sur l’extérieur, ils font passer une tristesse qu’on a envie de consoler. C’est peut-être comme ça qu’elle se fait des mecs : à la pitié.

Quand Romain – notre stagiaire caféiné – est enfin arrivé, j’ai bien vu qu’il en pinçait pour Rachel. Jusqu’ici je n’avais pas fait attention à ces détails. On travaille ensemble, c’est tout. Mais là… Cette façon de la regarder, ce détour inutile qu’il fait pour la frôler quand il va rejoindre sa chaise, son changement de ton lorsqu’il s’adresse à moi et non à elle... Bref, il y a une histoire entre ces deux-là et je me demande si la pause café matinale de Romain n’est pas une tactique pour qu’on ne remarque pas qu’ils arrivent ensemble. Il faudra que je creuse. Le plaisir, ça se partage.

La journée a ensuite défilé au pas de charge. Avec une personne de moins dans le bureau et un couple en activité – regards veloutés, sorties concordantes et discrètement allongées – il faut que j’assure la présence sur tous les dossiers. Pas question de m’appuyer sur mes prestations à la photocopieuse pour garder ma place ! Et donc ce soir je suis rentrée épuisée. Comment pouvais-je cependant laisser s’exprimer mon nouveau moi ?

— Chéri, tu ne poserais pas ton engin pour venir me masser les pieds ?
— Quoi ? m’a-t-il répondu avec une main sur l’oreille pour signifier que l’aspirateur l’empêchait d’entendre.

J’ai arraché la prise du mur et le vrombissement s’est éteint dans un gémissement de sirène essoufflée.

— Viens me masser les pieds, ai-je répété en balançant mes escarpins sur le tapis.
— Ah… heu, bon. Masser comment ?
— Doucement, mais profondément.
— Comme ça ?

Il s’est accroupi devant moi, a posé mon pied sur ses genoux et a commencé à malaxer ma voûte plantaire de ses pouces. C’était un peu hésitant, mais pas désagréable.

— Oui, comme ça, pas mal. Remonte un peu jusqu’aux orteils…

Je me suis laissée aller dans le canapé, détendue, les jambes abandonnées, aussi écartées que ma jupe le permettait.

— Mais… tu n’as pas de culotte ?!

Il a l’œil, mon mari !

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