Prologuons

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Hier soir, il m’a fait l’amour. Je le dis comme c’était : une action à son initiative et à laquelle je n’ai participé que comme objet. Il n’y a pas eu de mots doux, ni même un « tu veux bien ? » quand ça main s’est glissée sous ma chemise de nuit en pilou. Juste m’empaumer un sein, voilà, c’était le signal que cela commençait. Heureusement, ce n’est jamais très long. J’ai cette chance dans ma solitude : j’excite encore mon mari. Toutes les trois ou quatre semaines il m’honore, selon l’expression ancienne. Une expression dont le sens général me plaît, mais que j’ai pourtant du mal à reconnaître dans ce qui se passe alors entre nous. Entre lui et lui, devrais-je dire.


Donc la main sur le sein. Sa main sur mon sein. Pas une caresse, plutôt une prise de possession. Sans brutalité, mais sans négociation non plus. Il est là, il a envie, il se sert. C’est son droit conjugal et il ne lui viendrait pas à l’idée que je puisse moi aussi avoir un droit quelconque. Je pourrais dire non, repousser cette main. Je suis sûre que je pourrais. Mais, à quoi bon ? Il ne comprendrait pas, me demanderait ce qui ne va pas, placerait tout de suite le problème sur le plan médical. Si je n’ai pas mes règles, je n’ai aucune raison de refuser. Selon sa conception du sexe, bien sûr. Même si je disais être fatiguée, devoir me lever tôt, il répondrait qu’il va faire vite, et ce serait vrai. Et si je disais que je n’ai pas envie ? Même pas la peine d’y penser.
Avoir envie est une fonction de base dans un couple marié. On a toujours envie. C’est un principe sur lequel tout se fonde. Cela ne se discute pas. Certes, on ne le fait pas tout le temps, on n’est pas des bêtes tout de même, mais on pourrait. Nous sommes mariés. Nous avons donc toujours cette attirance contractuelle. Nous sommes toujours à la disposition du désir de l’autre. Il pense ainsi, agit ainsi, et je ne peux même pas le lui reprocher puisque j’ai, moi aussi, longtemps pensé ainsi. J’ai seulement moins agi. Jusqu’à plus du tout. Lui laissant le monopole de l’expression du désir. Cette main sur mon sein.


Son pouce frotte mon téton. Si j’ai de la chance ou un peu froid, il va s’ériger. Ce sera bon signe, pour lui. Sinon, si je reste molle du bout, je vais l’entendre se racler la gorge, soupirer. Sa main va devoir descendre par-devant, jusque là où mes cuisses se resserrent sur ma broussaille en jachère. Il n’aime pas devoir m’exciter à la main. Toujours cette idée de désir automatique. Une sorte de preuve d’amour. Alors que l’amour…
S’il doit y mettre les doigts, c’est que l’expression de son désir ne suffit pas à faire monter le mien. Nous ne serions plus sur la même longueur d’onde. Notre mariage s’en trouverait déséquilibré. Pauvre chéri, toutes les pensées que je te prête ! Si tu savais combien notre mariage boite, et depuis combien de temps. Depuis, en gros, que je ne sens plus l’envie de te toucher. Depuis que je ne pense plus à toi quand tu n’es plus là. Depuis que je te laisse mener ta vie tant que tu me laisses vivre la mienne. Cela s’est fait doucement, sans heurts. Sans retour.
D’un mariage voulu équilibré nous avons glissé vers une colocation tranquille. L’habitude aidant nous n’avons même plus à décider qui fait quoi et quand. Nous n’avons plus rien à nous demander. Les enfants ont grandi. Ils sont aussi tranquilles que notre vie de couple. Aucun problème, pas de conflit. Pas d’envie.


Il faudrait pourtant que je la ressente, cette envie, parce que sa main a forcé le passage entre mes cuisses. Sans difficulté, j’ai la cuisse un peu grasse. Je sens ses doigts s’insinuer, comme un chatouillis. Je me sens moite. Juste de la chaleur accumulée sous la couette, mais cela ressemble à de l’excitation pour lui. Il vérifie d’une glissade furtive en surface de mes grandes lèvres serrées. Il faudra que je me contente de cette non caresse pour les faire sourire. Déjà son sexe se presse contre mes fesses dénudées par un rapide relevé de pilou. Il faut que j’évalue sa position au touché rectal, que je me cambre pour qu’il ne dérape pas. Si je ne le guide pas il s’impatiente et l’impatience peut le conduire à une certaine dureté. Je n’ai pas envie de m’entendre dire après, en guise d’excuses, « tu aimes ça quand il faut forcer un peu, hein ? »
D’autant qu’il ne me le dit jamais. Il ne me dit rien, j’invente, je dois inventer. Sinon, ce serait trop triste, n’est-ce pas ?

Se(x)cretsWhere stories live. Discover now