Quatorze

70 9 0
                                    

Quartier de Portobello
Édimbourg, Écosse
31 mars 2022

𝓞jee

𝓠u'on ne me parle pas d'abus. L'écriture, c'est la seule qui m'a tendu la main quand la solitude me dépouillait de mon estime de soi. C'est la seule qui m'ouvre un champ de possibles, m'octroie un espace immaculé pour m'exprimer sans me juger. La seule qui ne me décrédibilise pas, ne fait pas preuve de condescendance, ni ne me blâme pour ressentir puissance mille ce que je n'ose même pas dire tout bas.

L'écriture m'écoute quand les larmes coulent au fond de moi. Quand, face au miroir, je me répète des paroles d'espoir. Garder la face, ne pas flancher, ne plus flancher pour éviter d'avoir à laisser les reproches couler sur moi, mon corps s'imprégner de leurs regards, mon esprit de leurs paroles immuables. De cette douleur qui n'en finit plus de grandir. Qui, dès qu'elle semble loin, revient bousculer mon équilibre, me plonge dans une phase de doutes et d'incertitudes où mes failles, comme des imperfections sous une couche de maquillage, disparaissent à la lumière du jour mais ne cessent jamais d'exister même dans le noir.

Que je n'entende plus parler des heures que je passe à rêvasser de mes mondes, à noircir ces feuilles sans fin quand ce rituel me tient la tête hors de l'eau. Quand cet univers qui figure sous mes yeux, cette fois bien réel, demeure si immonde.

Ma détermination est sans faille, mais mon cœur s'entaille et l'espoir s'amenuise. Je suis remplie de hargne, c'est probablement ce qui me portera au sommet.

Quand j'y pense, qui était là lorsque mes poings se serraient, mes ongles s'enfonçant dans ma chair, que tout ce que je désirais était de disparaître sous terre, ne plus refaire surface, laisser la douleur m'emporter ?

Personne n'a été témoin de mes larmes – tous de mes éclats de rire, pourtant.

Nul ne m'est venu en aide, n'a eu le courage, l'audace de prononcer ces quelques mots : « Je te comprends. Tu n'es pas seule. Tu es bien plus que ce que tu imagines. Tu t'en sortiras. »

Ce sont les murs de ma maison qui ont accueilli ma détresse, la page cornée d'un bouquin qui a englouti, l'espace d'une seconde, cette solitude qui m'étouffe tant. Ce sont ces êtres invisibles, fictifs tout autour de moi et dont je ne connais pas même le prénom qui ont su accueillir ce que j'avais à dire.

Leur soutien n'a pas de mesure, peu de délai, pas d'aspect concret. Ce ne sont que des âmes de passage, tout comme moi, qui, au détour d'une page, voient leurs tracas faire écho aux miens, nos émotions s'embrigader pour ne faire plus qu'un.

Je suis si fatiguée. Fatiguée d'avoir à me battre pour qu'on m'écoute, qu'on donne un sens et de l'impact à ma voix. Par la médisance, la moquerie, le dédain, vous me rendez impuissante, prisonnière de mes démons insatiables.

Tu pleures ? Un coup d'eau sur le visage et ça passe.

Cessez de dédramatiser nos craintes. Quand vous riez, c'est notre monde qui s'effondre. Vous pleurerez notre sort quand il sera trop tard, sans même savoir que vous nous avez poussés à l'irréparable. Et après, vous espérez notre pardon ? La rédemption ?

Quand on prive quelqu'un de son innocence, de sa grandeur et de son ambition, on le prive de sourire et d'espoir.

Enfin... Je me plais à penser qu'une légende plane au-dessus des artistes, telle une épée de Damoclès : c'est à l'apogée de leur souffrance que se dessinent leurs plus belles créations, dont les fondations, désenfouies des méandres de leur conscience et de leur être, prennent enfin vie.

La Justesse de tes ÉmotionsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant