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Aléan

24 ans, Santa Cruz

-Stoppez-vous, espèce d'enfoiré !

Je me suis toujours demandé si l'univers avait comploté dans mon dos, un jour de pluie pour s'assurer que je ne passe aucune pauvre journée de ma vie, sans qu'il ne m'arrive une stupide gaffe à l'improviste.

Et aujourd'hui encore, après avoir trimé pour répondre correctement à toutes les questions de mon recruteur sans glisser une insulte incontrôlée dans l'une de mes phrases, ou simplement le fixer étrangement trop longtemps pour qu'il en vienne à la conclusion que je ne suis qu'un jeune inexpérimenté (qui préfère mater ses collègues)...je me retrouve à exactement vingt-et-une heure, dans ma ligne de métro, à courir derrière un abruti qui n'avait rien de mieux à faire que de voler le petit sac insignifiant d'un étudiant de vingt-quatre ans qui galère à payer ses fins de mois.

-Et aucun d'entre vous ne compte faire quelque chose, c'est ça ?

Je dévisage un à un les abrutis de l'autre côté du quai, (étant donné que je suis seul de ce côté-ci) qui ont les yeux trop plongés dans leurs écrans pour se préoccuper de moi, de mon affolement, et de mon allure de fin de boîte.

-Je sais, je fais peine à voir, ne vous dérangez surtout pas pour moi ! Lançai-je ironiquement.

Je râle à nouveau en comprenant que personne n'arrêtera ce bâtard, tout simplement parce que je suis seul de ce côté du quai, et avec mon niveau de chance, il est possible qu'ils aient annoncé une attaque terroriste que je sois le seul à ne pas avoir entendu. 

Si on m'avait dit que ma vie resterait si tourmentée des années après que je quitte la maison, eh bien, je serais resté à me morfondre des journées entières dans mon canapé en sachant que rien ni personne ne pouvait ruiner mes moments de paix. Personne sauf Filyn...

-Aléan ! entendis-je faiblement dans mon dos comme un vieil éco inaudible.

Quand on parle du loup...

Mon corps se fige à l'instant même où ce chuchotement parfaitement irréaliste parvient jusqu'à mes tympans et que je réalise qu'il est bien réel, et juste derrière moi.

Impossible.

Pas tout juste au moment où je pense à lui, même si je pense constamment à lui.

Je n'ose pas me retourner, alors stupidement je fuis comme le lâche que je suis devenu et je continue de courir en feintant de ne pas avoir entendu la voix de mon premier amour résonner dans ma boîte crânienne.

Peut-être que si je fais comme si de rien n'était, il finira par renoncer à me suivre, et je pourrai avoir un moment pour reprendre ma respiration d'une manière peu "gracieuse" et "classe".

Mais forcément, je n'ai pas le temps de prendre cette décision, puisque la chaussure de Filyn termine sur mon jean (légèrement) trop large.

Et puisqu'il est loin d'être le genre de personne à se soucier de mon existence, il ne me rattrape pas au creux de ses bras musclés, et je m'écrase honteusement face contre terre.

Charmant Aléan ! m'exclamai-je intérieurement.

J'aurais préféré l'alternative dans laquelle il se rend compte que je ne dispose d'aucune capacité d'endurance hors norme, plutôt que de me ridiculiser lamentablement comme je viens de le faire.

Si je ne me relève pas et que je feins d'être mort sur le coup, va-t-il me laisser ?

-Merde, pardonne-moi, avoue-t-il à voix basse en s'assurant que personne ne fasse attention à lui dans les alentours. Super comme moyen de marquer mon retour, déclare-t-il en tendant sa large main dans ma direction.

Sharpened sensesWhere stories live. Discover now