Mais très vite, son faciès se transforme, la haine s'y infiltre et fait sienne les courbes de son visage. Ses sourcils froncés laissent entrevoir une colère noire et ses yeux dégage une folle intention meurtrière.


En l'espace de quelques secondes l'homme retrouve son calme habituel, comme si rien ne l'avait affecté, l'instant est si court que le couple ne le remarque même pas. Le maître, lui, a capté la détresse de son acolyte, il est étonné, si ce n'est effrayé du disciple qu'il vient de découvrir. Comment est-il possible d'être animé par une haine si intense ? La nuit entame alors sa course folle contre le jour, quelques heures plus tard, lorsque l'empereur calme contre-attaque et assiège de nouveau l'échoppe, il est temps de ranger les chaises, d'éteindre les fourneaux, de nettoyer le comptoir et de s'effacer face à l'heure tardive.

Après un bref signe de la tête, l'apprenti s'éclipse. La nuit bat son plein, l'homme marche sur un sentier éclairé uniquement par la Lune. Ses yeux sont vides, sa démarche lente, ses cheveux tombés en désordre, un esprit errant dans l'obscurité. Soudain, il inspire de l'air en grande quantité et lance sa jambe droite en avant, suivie de près par la gauche qui va même jusqu'à la dépasser. Ses bras s'actionnent l'un après l'autre, formant un mouvement de balancier de haut en bas. Tous les muscles de son corps se tendent à l'extrême, ses jambes avalent la pente qu'il gravit comme une flèche. Rapidement, l'air gifle son visage, ses yeux fixent un sommet qui lui paraît inatteignable. Il file. Il court à toute allure entre les grands arbres d'un bosquet qui revêt une colline illuminée par la lueur de l'astre de la nuit.

Sa silhouette s'élance de toute sa longueur, le poids de ses foulées produit un bruit grave qui résonne sous la terre. Son esprit se vide, tout est blanc, l'effort intense a lavé toute pensée. Seul subsiste dans sa tête l'objectif du sommet. Le souffle du vent vient titiller son ouïe, et respirer commence à devenir plus que pesant, il ralentit déjà. Son cerveau a beau ordonné à ses jambes d'accélérer, rien n'y fait. Mais il reste en mouvance et ne s'avoue pas vaincu face à son adversaire titanesque.

Lorsqu'il ne peut plus monter, il se rend alors compte que la vue de la vallée s'offre à lui, il est au sommet d'une colline. Épuisé, il s'écroule dos à terre et fixe le ciel étoilé qui se réfléchit dans ses yeux. Son souffle est fort, essayant de récupérer tant bien que mal, l'oxygène qu'il lui manquait. Une douce brise soulageait la peine de ses jambes crispées par des courbatures, caressant le corps criblé du coureur effréné. Il était hypnotisé par la robe mouchetée du ciel qui semblait vouloir l'enlacer à jamais. Sa respiration se calmait, comme tranquillisée par cet environnement.

Puis, un bruit résonne, régulier, lourd, et approchant, perturbant cet instant dérangé uniquement par le bruit du vent. Le maître émerge d'un bosquet d'arbres alentour, d'un pas léger, il vient s'asseoir et s'adosser à un arbre aux côtés de son apprenti. Dans ses mains, une bouteille d'alcool et deux verres luisaient à la faveur de la Lune. Il emplit les deux verres et en appose un aux côtés de l'élève. Il avale le sien d'une goulée. Ils se tiennent là, sans mot dire, la musique d'une nature endormie pour seule conversation. Le vieillard sait l'inutilité des mots face à un passé douloureux, il peut seulement partager la douleur de son camarade en silence. Mais celui-ci est déjà calme, il ne bouge plus, il dort.

Plusieurs jours plus tard, la cuisine s'animait encore et toujours d'une vie, d'une énergie des plus joyeuse. Cette vitalité attire les manants tel un aimant, quiconque cherchait réconfort ou ressource était le bienvenu. Le maître avait chargé l'étranger d'une commission, notre homme se mit alors en dynamique. L'objectif ? Livrer la doyenne à l'opposé du village, elle ne pouvait plus se déplacer sur une aussi longue distance, mais était attachée à la cuisine du maître. Après s'être équipé de tout l'attirail nécessaire, l'homme se retourne vers son maître et lui adresse un sourire, subtil, mais vrai. Puis, il s'éloigne à pas de loup, aussi doux que la brise d'été qui survolait le village. Il transporte avec lui, la force de l'échoppe, véritable cuisine mouvante armée de baluchons. Pendant une heure, il vagabonde, tantôt perdu entre les baraquements, ou perturbé par les jeux des enfants.


Le vent pour guideTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon