2 - le bagage abandonné

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Eliott rentrait chez lui quand il a vu Hugo sauter du toit de l'immeuble de son boulot.

Il l'a vu s'élever dans les airs et retomber. Il l'a vu s'écraser sur le sol, là, juste devant lui, il l'a vu s'éclater sur le sol et ses os se briser et ses chairs se dilater. Il a senti une projection de sang lui asperger le visage, il a senti une projection de fluides vitaux sur son visage. Il a senti que ça gouttait jusqu'à l'os de sa mâchoire, ça a fait une tache sur son t shirt qu'il n'a pas réussi à rattraper. Ça a fait une tache qui s'est étendue sur tout son corps. Ça a fait une tache qui s'est étendue sur le carrelage dans sa salle de bain et qu'il n'arrive pas à rattraper. Il se souvient qu'il a vu Hugo sauter cet après midi là, il était bloqué dans le métro. Hugo lui avait demandé de venir voir quelque chose, Eliott est presque sûr qu'il voulait qu'il le raccompagne chez lui ce soir parce qu'il n'avait pas envie de rentrer seul, quelque chose comme ça. Hugo avait son propre appartement mais il passait tellement de temps chez Eliott que c'était plus ou moins devenu le leur. Il y avait ses vêtements dans son armoire, sa brosse à dents dans sa salle de bain, ses chaussures dans son entrée, sa marque de café préférée dans son placard et des pâtes pour remplacer les haricots verts que Hugo détestait les soirs où Eliott décidait qu'il était temps de se comporter en adultes et de manger un peu de légumes. Il y avait l'odeur de Hugo sur ses vêtements, et puis l'odeur de Hugo sur ses draps, l'odeur de Hugo sur ses vestes, l'odeur de Hugo sur son canapé. Cet après-midi-là, il s'était retrouvé dans le métro pour aller chercher Hugo parce qu'il le lui avait demandé et qu'il faisait toujours ce que Hugo lui demandait. Pourquoi lui aurait-il dit non ? Il venait de terminer le travail et il avait juste à faire un petit détour pour aller le chercher et qu'ils rentrent ensemble – il arriverait bien à le convaincre de venir chez lui ce soir, il y arrivait toujours. Ils aimaient trop dormir l'un contre l'autre et répande le doute sur la nature de leur relation dans l'esprit de leurs amis pour rester séparés une nuit entière. Il se souvenait avoir reçu un message étrange de Claire, un message qui lui disait qu'il pouvait refuser des choses et qu'il n'avait pas à s'en sentir coupable mais il l'avait ignoré. Il voulait juste retrouver Hugo, il l'aimait trop pour se tenir éloigné loin de lui encore quelques minutes.

Il était sur le quai du métro et il attendait, patiemment – il avait les yeux qui collaient du manque de sommeil, il venait d'enchaîner trente heures de garde qui l'avaient mis sur les rotules. Il avait déjà prévu de commander un truc à manger et d'aller dormir aussitôt ; il reprenait le travail le surlendemain et il avait absolument besoin de se reposer d'ici là. Il s'était engouffré dans les wagons surchargés du métro, l'heure de pointe était souvent peu agréable, et il s'était retrouvé coincé dans un coin entre deux sièges, le nez baissé. Il ne quittait plus des masques FFP2 depuis la pandémie et il s'en était félicité au vu de la proximité qui régnait dans le wagon. Il avait son casque sur les oreilles et il avait mis sa musique trop fort pour masquer le bruit de la conversation de sa voisine. Ses yeux piquaient, ses mains tremblaient tant il était fatigué et il y avait Claire au bout de son téléphone, qui tapait des messages furieux qu'il n'était pas sûr de comprendre, et puis les messages furieux de Hugo, aussi, dont il ne parvenait pas à comprendre le sens non plus. Il avait l'impression que l'épuisement lui avait mangé tout le cerveau, il avait l'impression que l'épuisement lui avait volé toute sa capacité de concentration et il se retrouvait là, debout dans ce wagon qui bougeait, qui cahotait, qui tournait et retournait et qui lui donnait un peu mal à l'estomac. Il avait ravalé un gémissement quand il avait posé sa tête contre le métal du wagon et que les tremblements du véhicule avaient traversé son corps jusqu'à remuer désagréablement sa moelle épinière. Il avait toujours mal supporté le manque de sommeil, c'était Claire qui pouvait tenir éveillée des heures et des heures sans que ça ne lui pose problème. Il avait même songé à changer de taff, à un moment, quand il avait compris que les heures supp et les nocturnes seraient la règle et pas l'exception, mais il aimait trop ce qu'il faisait pour ça. Il supportait le manque de sommeil en buvant trop de café. Mais là, le dernier café qu'il avait avalé datait de plus de deux heures et il fallait qu'il passe chercher Hugo avant de rentrer chez lui. Un truc à devenir dingue. Il avait regardé d'un œil distrait le couple qui se disputait dans la rame ; ils se hurlaient l'un sur l'autre, tout le monde semblait les ignorer sauf Eliott qui les fixait avec insistance. La fille avait l'air furieuse alors que le garçon était plus en retrait, plus gêné, et il avait deviné que c'était lui qui avait merdé dans l'histoire. Il ne se souvenait pas s'être disputé comme ça avec Hugo un jour, mais peut-être leur cas était-il un peu particulier.

Le carrelage de la salle de bainsWhere stories live. Discover now