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Le phénomène a commencé le premier mardi du mois. Je crois que je n'avais jamais vu un temps à ce point déchaîné. Un ciel d'encre chahuté par la foudre ; des arbres déracinés par les assauts incessants du vent ; une averse assourdissante qui a fait déborder les caniveaux dans toute la ville. Bref, un putain de tableau de fin du monde.

Si je m'en souviens aussi bien, c'est parce que le lendemain, j'avais les secours au téléphone et les pieds dans l'eau. Ah, les joies d'habiter au rez-de-chaussée... Des jours de nettoyage, des paires de chaussures à jeter à la poubelle, une cave à vin HS, et l'odeur des toilettes qui ont dégorgé la merde de tout l'immeuble... chez moi. À chaque fois que j'y repense, j'en ai des frissons de dégoût.

Mais au-delà de cette situation particulièrement indésirable, il y a autre chose qui fait que ce jour m'a autant marqué. C'est ce mardi-là que j'ai vu le « score » pour la première fois. Malgré la tempête, j'avais quitté le boulot au pas de course. Les pieds dans l'eau jusqu'aux chevilles, je venais de tourner à l'angle de ma rue quand quelque chose accrocha une de mes chaussures. On n'y voyait pas à cinq mètres devant soi. Je n'avais donc pas pu voir la bâche déchirée qui naviguait aléatoirement sur le trottoir. Ma chaussure s'était prise dedans et ma chute m'avait fait amerrir dans le caniveau, au milieu d'un courant impitoyable qui me mena, avant que je ne puisse m'en rendre compte, jusqu'à la bouche béante des égouts. La moitié inférieure de mon corps avait déjà glissé à l'intérieur et il s'en fallut de peu pour que ma tête heurte le métal tranchant de l'entrée... et que je disparaisse sous la route. C'est sans doute un réflexe de survie qui me fit agripper les deux bords et qui m'évita de me faire engloutir.

Une fois debout — les jambes tremblantes et la tête en vrac — je me rappelle avoir soufflé un instant sur le vieux banc de métal où discutent habituellement les commères. Et c'est là, sous le coup du soulagement, que je l'ai vu pour la première fois. Un flash. Une série de chiffres. Organisés. Alignés. Détail curieux, c'est comme s'ils n'étaient pas imprimés sur ma rétine. Comme si mon cerveau les avait placés là, furtivement. Une hallucination ? Un bug ? Une erreur de calcul, peut-être ?

Il aurait été facile d'oublier cet incident somme toute anodin. Après tout, cela arrive d'avoir l'illusion d'apercevoir quelque chose qui n'existe pas. D'avoir la sensation d'une présence ou d'un parfum qui se révèle n'avoir au final aucune réalité. Et, une fois qu'on est passé à autre chose, on n'y revient plus.

Pour ma part, tout semblait être revenu à la normale. Mon appartement était redevenu vivable. J'avais repris ma routine, entre le boulot, les sorties au bar et les soirées en solitaire. Mais là, il y a une minute à peine, j'ai vu un mille-deux-cent-vingt-trois... et un douze-mille-cinq-cent-quatorze.

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