Enfin, si j'arrivais à aligner deux mots sur cette foutu page blanche.

La petite barre continue à battre la mesure, j'ai l'impression qu'elle me fait un clin d'oeil pour me rappeler le temps qui passe et l'échéance qui approche.

Consciente que l'inspiration ne me fera pas le plaisir de sa présence ce soir, je ferme l'éditeur de texte pour ouvrir Spotify, peut-être qu'un peu de musique me motivera. Et c'est après avoir zapper la moitié de ma playlist "écriture" que je réagis.

C'est normal que mon subconscient ne laisse pas de place à un nouveau héros de mon imagination, il est déjà envahie depuis des semaines par les images d'April qui danse, sourie, existe... Toute mon imagination travail à déterminer quelle est le goût de la peau d'April, qu'est ce que ça ferait de passer ma main dans les cheveux d'April, quel serait le son de la voix d'April en plein ... Bref, elle campe dans ma tête et y prend beaucoup trop de place pour que qui que ce soit ne puisse s'y frayer un chemin.

Autrement dit, la seule solution pour "m'exorciser" est de donner corps à l'April qui veut bien de moi dans mon imagination, soit, en faire l'héroïne de mon histoire.

Vendredi 17h45, je suis certaine qu'April est au gymnase, en grande lâche que je suis, c'est le moment que je choisis pour donner mon travail à la rédaction. Quand je frappe à la porte du journal, un simple "c'est ouvert bordel!" me répond.

Lorsque je pousse le battant, seul Killian occupe la pièce, penché sur une grande table avec une multitude de photos.

— Je viens rendre mon "article".

Mon ami relève la tête, un sourcil plus haut que l'autre.

— T'écris pour le journal maintenant?

— April m'a demandé de boucher le blanc de votre rubrique manquante...

Je m'attendais à ce qu'il me pose plus de question mais il semble plutôt en colère.

— Et t'attend maintenant pour me le donner? J'ai bouclé la maquette il y a plus d'une heure! Je devrais déjà l'avoir envoyer à l'impression pour lundi! T'as du bol que j'ai attendu le dernier moment parce que j'avais l'espoir de trouver une autre solution que d'imprimer le menu de la cantine sur 2 pages pour combler. Fais moi voir ça.

Je lui tend ma clef usb, un peu sous le choc de le voir aussi investie dans ce projet, lui que je pensais intéressé uniquement par la cuisson des ailes de poulet...

— J'espère pour toi qu'il n'y a pas de fautes d'orthographe, je n'ai pas le temps de relire.

Je lui affirme que non, rassurée qu'il ne puisse pas me poser de question avant la publication. Lorsqu'il ouvre le fichier, il fronce les sourcils.

— T'es sure? demande-t-il. T'as oublié de signer.

— C'est volontaire, je compte rester anonyme.

Il tourne la tête légèrement vers moi avec un demi sourire.

— On ne veut pas que quelqu'un sache qu'on traine avec les geek...

Je lui donne un coup sur l'épaule.

— Je crois que je ne suis pas la seule.

Il retire la clef USB et me la redonne.

— Ton secret sera bien garder. Je termine la mise en page et tout le lycée pourra lire tes mots dès lundi matin.

Je tente un petit rictus, sans succès. Je le sens vraiment mal ce coup là.

Je quitte le bureau de la rédaction en m'apprêtant à retourner à ma voiture quand une autre idée me vient en tête. Je vérifie que les couloirs sont déserts avant de m'engager dans les escaliers qui mènent au gymnase. Sans surprise, ma muse s'emploie à améliorer sa grâce sur de la musique classique. Cette fois, pas question de la regarder en cachette par le hublot comme un voyeur. Je rentre donc, le plus naturellement du monde, comme si ce lieu m'appartenait et m'installe confortablement sur les tapis de sol. Comme la dernière fois, ma petite danseuse sursaute et attrape sa serviette pour se cacher. Si seulement tu savais à quel point tu n'as pas à avoir honte de ce corps...

Je l'arrête avant qu'elle ne stop la musique.

— Non! Continue. Je te regarde.

Elle ne m'écoute pas et fait cesser le violoncelle.

— C'est à dire que... je ne préfère pas. C'est assez intimidant d'avoir un public.

— Ce n'est pas un public, c'est moi ...

Elle sourie, à la limite du rire franc.

— Justement... Enfin, je veux dire, c'est vachement personnel comme truc.

Toujours assise sur mes tapis pleins de transpiration, je m'appuis nonchalamment sur le mur, mimant l'assurance que je perds devant elle.

— Avant toi, une seule et unique personne avait le droit de lire mes textes et là, tout le Bahut va pouvoir en critiquer la moindre voyelle. Niveau exposition de truc personnel, je crois que tu m'en dois une.

Ses yeux s'écarquillent de surprise.

— Tu l'as fait? Vraiment?

— Oui M'dame, nouvelle de deux pages inclus dans la prochaine édition de votre gazette.

Elle a l'air folle de joie, elle s'approche même pour me prendre dans ses bras avant de se rappeler qu'elle n'est habillée que d'un justaucorps.

— Maintenant, à toi de m'éblouir par tes talents.

Elle hésite, longuement, avant de céder à mon regard de chien battu et d'enclencher à nouveau la musique.

Je profite de chaque seconde qui m'est donnée à regarder ce spectacle en songeant que c'est surement la dernière fois qu'il m'est autorisé. Je ne sais pas ce qu'il adviendra de notre amitié lorsqu'elle aura lu ma nouvelle.

Après tout, peut-être qu'elle ne fera pas le lien. Je veux dire, je ne parle que d'une petite fée invisible qui danse pour orienter le pollen au printemps... Et d'un d'un bourdon qui est le seul à la voir et qui souhaiterait la séduire. OK. Elle va capter. Même les traits physiques de ma petite fée lui correspondent. C'est mort...

La danse prend fin à mon plus grand regret et je ne peux retenir mes pensée de restées coincer au fond de ma gorge.

— Tu es magnifique quand tu danses.

Elle rougie si fort que j'ai peur qu'elle prenne feu, je tente de me rattraper comme je peux.

— Non mais je veux dire... Ton visage, il est concentré, fixé sur ce que tu dois faire, comme si il était vide de toutes les autres choses qui te tracasse au quotidien... Tu as l'air plus sereine. C'est très agréable à regarder.

Je plisse les yeux aussi fort que je suis stupide.

— Ce petit speech avait pour but de te mettre plus à l'aise, je pense que j'ai raté mon coup.

— En effet.

— Je te ramène en voiture pour me faire pardonner?

— Tu me laisses le temps d'une douche?

— Biensure.

Elle s'éloigne déjà vers les vestiaires et je me retiens de me taper la tête contre les murs. Ce n'est pas possible d'être un boulet pareil. 4 ans que je drague sans complexe tous les mecs qui me plaisent sans l'ombre d'une phrase de travers et là je lui sors qu'elle est "agréable à regarder". Je serais un mec, je pense que Kelly et Spencer m'auraient ri au nez. Encore heureux que je n'ai pas répondu "avec plaisir" quand elle m'a parlé de la douche... 

Rapprochement improbableWhere stories live. Discover now