Appartement 104

IV

- Le dossier orange.

- Celui-ci ?, le policier leva la tête, le comissaire lui répondit d'un simple hochement de la sienne. Nora Cavalli.

- Faites entrer l'accusé ; il rit bruyamment dans sa moustache. Des voisins à vous se sont plaint d'un tapage nocturne à deux heures hier.

- Étais-ce réellement une raison pour me laisser en garde à vue toute la nuit ? Il va falloir revoir vos priorités.

- Excusez-moi mademoiselle, mais il me semble que la police fait ce que la police doit faire. Vous n'avez pas à vous interposer là-dedans.

- Je lis plusieurs policiers, repris-je en jouant avec mes doigts. Mon favori est "Appartemment 104". L'assassin ne passe pas une seule seconde en garde à vue dedans.

- Bien, dit-il en pouffant de rire. Revenez nous voir quand vous aurez votre diplôme et on vous embauchera.

- Je ne fais pas d'études dans la police, je suis juste...

- Continuez de lire des policiers et de regarder New York Unité Spéciale, me coupa-t-il. Vous allez voir, ça va marcher, il s'entraîna à nouveau dans un fou rire insupportable. Libère-la, hurla-t-il en balançant un trousseau de clefs sur le comptoir.

*

J'avançais doucement dans le magasin vide dont les ampoules blanches grésillaient, poussant mon caddie rouge et argent devant moi. Je n'avais pas désiré emmener Chop cette fois, bien que le mec qui gérait la superette avait l'habitude de le voir ici. Ça a toujours été un chien très calme. Je l'ai depuis sa naissance. Quand j'ai projeté de partir, je me suis rendue compte que je ne tiendrais pas le coup toute seule. Faute de petit ami ou d'ami voulant bien se mettre en coloc avec moi, j'ai acheté un chien.
J'aimais bien faire les courses. Je me faisais toujours des petites listes que j'écrivais sur le dos d'une enveloppe avec mon vieux bic noir. Ma liste de la journée était celle-ci :

- Trois paquets de cacao en poudre (que j'avais l'habitude de manger à la cuillère)
- Deux bouteilles d'adoucissant Minidou parfum "Bouffée d'air frais"
- Un paquet de chewing-gums à la pastèque et au chlorophyle
- Un pack de six bouteilles de lait écrémé
- Un paquet de spaghettis, un autre de raviolis et un autre de tagliatelles
- De la purée
- Deux laitues entières

Voilà ce dont je me nourrissais régulièrement - sauf le Minidou. Le matin, je buvais du cacao dissous dans du lait ou alors je le mangeais à la cuillère, quand j'avais un petit creux ; je prenais un chewing-gum, le midi et le soir c'était soit purée soit pâtes, et souvent, je prenais de la laitue pour ma bonne conscience.
Je n'avais pas vraiment d'argent. Je vivais sur l'héritage de ma grand-mère (qui m'a d'ailleurs donné mon deuxième nom - Monica) et sur mon pauvre salaire de serveuse dans un bistrot mal fréquenté de mon quartier. Je savais que ça allait mal finir si je partais de chez moi aussi tôt. Mais je ne supportais plus ma situation.
Je n'ai eu dans ma vie qu'un seul copain. Ça a très mal fini.
J'ai toujours aimé les mecs tordus. Ceux qui pensaient trop au sens de la vie, qui se prenaient la tête et qui créaient des problèmes. Je suis moi-même née comme ça.
Il s'appelait Dylan. Je l'aimais énormément.
Mais il a décidé de mettre fin à ses jours.
Il n'a pas tenu.

Après être passée à la caisse, je suis partie en direction de chez moi à pied avec mon sac en papier calé dans le coude droit et mon pack de lait dans la main gauche. En entrant dans le hall, je ne comptais pas sur le fait de revoir Styles.

- Bonjour Nora, il me tendit la main, ça va aujourd'hui ?
- Bof... je fronçai les sourcils d'embarras en lui serrant mollement la main.
- Qu'est-ce qui ne va pas ?
- J'ai été... j'hésitai un moment, en garde à vue toute la nuit pour tappage nocturne...
- J'ai vu ça. Je me doutais que la police venait pour toi hier soir.
- Ce n'est pas vous qui les avez appelé ?
- Tutoie-moi bon sang, il reprit, non.

Il me regardait tellement profondément... Je n'arrivais pas à savoir s'il mentait ou non. Et cette sensation était terrible. Je savais que je ne devais pas faire ça, mais sur le moment, je ne suis pas parvenue à me retenir :

- Tu veux venir prendre un café chez moi ?