L'héritage de l'Inu no Taisho

Chapitre 1 - Le filet

Sous la frondaison des arbres, Rin courait à perdre haleine. A ses pieds, elle sentait ses waraji commencer à se défaire et menacer de céder. Elle n'avait pas le loisir de s'arrêter pour les resserrer cependant. Derrière elle, un rugissement sinistre retentit. Cela dissuada la jeune fille de ralentir l'allure malgré sa poitrine en feu et ses muscles crampés.

Devant elle ne se distinguaient que des arbres touffus dont les racines et les branches traîtresses entendaient fournir nombre obstacles à la course de la brune. Quelques roches moussues ne faisaient elles-aussi pas de bonnes amies. Glissantes, elles imprimeraient en outre le passage de la jeune fille sans permettre à son prédateur de se tromper.

Celui-ci gagnait du terrain. La confrontation semblait inévitable. Mais Rin ne pouvait tout simplement pas le laisser la rattraper. Elle avait un plan, et pour le mettre à exécution, elle devait atteindre un endroit particulier. Cependant, à cette allure, la créature serait sur elle bien trop tôt.

Elle aperçut bientôt une descente, laquelle menait à une rivière – elle le devina au bruit des remous. Un raccourci.

La fugitive obliqua vers la pente. Elle était beaucoup plus raide que ce à quoi elle s'attendait mais elle n'hésita pas et se laissa glisser sur les fesses. Sur les derniers mètres, elle roula complètement sur elle-même, grimaçant à chaque pierre ou saillie sylvestre piquant ses côtes et s'enfonçant dans son dos.

Arrivée en bas, elle bondit sur ses jambes et courut vers la rivière. Elle n'était pas très large mais offrait suffisamment de profondeur et de largeur pour s'immerger complètement. C'est ce que fit Rin en passant de l'autre côté.

Elle nagea en suivant le courant sur une certaine distance. L'eau camouflerait un instant son odeur et rendrait sa piste plus difficile à suivre. Elle sortit de l'eau entièrement mouillée. Ses vêtements lui collaient à la peau, lourds et dégoulinants. Ses cheveux lui faisaient l'effet d'algues sur la tête.

Sur les galets blancs bordant la rivière, ses pieds dérapèrent plusieurs fois. Rin s'obstina pourtant à avancer, longeant le cours d'eau malgré le sol peu propice à la course. Les pierres n'empreindraient pas ses pas et les traces mouillées qu'elle faisait sécheraient rapidement.

Elle ne s'éloigna qu'une vingtaine de mètres après, replongeant parmi les arbres. Elle courut, courut jusqu'à atteindre trois gros hêtres plus ou moins disposés en triangle. Rapidement, elle leva les yeux puis se défit de ses waraji et du ruban blanc qui nouait lestement ses cheveux dans son dos. Elle les cacha dans un buisson au milieu des trois hêtres avant de s'éloigner pour se dissimuler derrière un imposant camphrier où elle attrapa de la terre et de la boue pour s'en badigeonner le visage, les bras et le kimono. La jeune fille espérait ainsi tromper l'odorat de son prédateur.

Elle se mit ensuite à grimper dans l'arbre jusqu'à une branche suffisamment haute pour atteindre un bout de corde dissimulé entre les feuilles. Elle le saisit d'une main ferme.

Et elle attendit.

Les sourcils froncés, concentrée, elle garda grandes ouvertes ses oreilles. Appuyée contre le vaste tronc, perchée sur la branche du camphrier, elle s'efforça de contrôler sa respiration. Son cœur battait douloureusement et des frissons l'assaillaient – après sa baignade, la petite brise lui donnait froid. Elle ignora pourtant tous ces désagréments, focalisée sur le prédateur qui approchait.

Au bout de quelques instants, elle finit par entendre un léger bruissement. A pas de velours Rin l'entendit approcher du buisson où se trouvaient ses sandales et son ruban. La bête avait senti l'odeur de sa proie sur le ruban et les sandales abandonnées.

Rin jeta un bref coup d'œil au moment où le fauve fourrageait dans la broussaille. Ce fut l'instant qu'elle choisit pour tirer vigoureusement sur la corde, d'un coup sec.