CHAPITRE 2

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Les poings de Luciole se crispèrent. Cassiopée avait tout fait pour elle. Quand elles s'étaient échappés de la Cité Sombre, elle avait été son pilier, son bonheur, son seul amour. Avant de la rencontrer, Luciole n'avait jamais connu aucun humain agir avec désintérêt. Cassie lui avait prouvé que la bonté existait, que les humains pouvaient agir autrement que par profit.

Elle lui avait prouvé qu'il pouvait exister un « après ».

Oh, Cassie n'était pas innocente pour autant. Elle ne lui avait jamais réellement raconté son histoire, mais, à l'instar de tous les habitants de la ville souterraine, son existence avait probablement prit des chemins bien sombres. Elle avait sûrement heurté des gens, détruit des vies, ruiné des futurs. Peut-être qu'elle avait cessé de chercher la lumière. Peut-elle qu'elle s'était embourbée dans les méandres boueux de la folie humaine.

Mais c'était il y a si longtemps ! Elle avait changé. Elle s'était reconstruite. Elle avait un rêve. Elle voulait recréer un univers empli de lois, de justice et de joies. Elle ne souhaitait que ça.

Et elle en était morte.

Qui pouvait lui en vouloir ? Qui était assez fort pour la tuer ?

A ses côtés, Mahery, encore tremblant, ne disait rien. Aucun des deux ne pleurait. Mahery n'avait sûrement plus de larmes ; mais Luciole, elle, en était simplement incapable. La mort de Cassiopée était si brutale ! La mort. Ce mot ne sonnait même pas correctement dans son oreille. Les morts étaient liées à la famine, le manque de soleil, le froid, la maladie, la vieillesse pour les plus chanceux. Cassie n'était aucun de ceux-là.

Et pourtant, elle était bien morte.

Tuée.

Assassinée.

— Il faudrait l'enterrer.

— Je sais.

Bien sûr qu'elle le savait. Elle ne pensait qu'à ça depuis le début : le moment où elle verrait son corps entier, son corps détruit, où les marques de luttes s'amoncelaient comme des papillons de nuit rendus fous par la lumière. Elle n'avait aperçu le cadavre qu'une seule seconde, une infime seconde, afin de s'assurer que Mahery ne se trompait pas. Il avait relevé le drap qui couvrait le visage de Cassie avec précaution. Elle avait regardé, une seconde. Elle n'avait rien dit. Elle s'était éloignée, le cœur au bord des lèvres. Son visage ne présentait pas de blessures particulières, à part un hématome sur la lèvre. Ce qui l'avait frappée, c'était la couleur de sa peau.

Elle était morte. Définitivement morte, la peau blafarde, le teint translucide, et les yeux vides, si vides, empli d'un néant sans fin qui semblait l'attirer elle aussi. Néant indigne, néant brutal, néant qui l'avait suivit toute sa vie et qui gagnait une nouvelle fois la partie, mais Néant, prends garde à toi, la guerre n'est jamais terminée !

— Lu ?

Mahery avait un regard perdu et à la fois si lucide !

— Oui, on va l'enterrer.

— Quand ?

— Pas... pas tout de suite. Je ne peux pas. Pas là.

C'était évident, qu'il fallait l'enterrer. Dans quelques heures, le corps commencerait à se décomposer. S'ils la laissaient dehors, les mouches vendraient les premières, puis les vers, et enfin les charognards. En trois jours, il ne resterait plus que des chairs putrides, et, une semaine plus tard, les os seraient les seuls témoins de ce qu'était anciennement Cassie.

Il fallait l'enterrer, Luciole le savait. Mais elle ne pouvait s'y résoudre. Pas tout de suite. Pour quelques minutes encore, elle voulait garder l'image souriante et bienheureuse de Cassiopée. Luciole sentait toujours sa présence dans son dos, son odeur contre son corps. Elle aurait presque pu venir près d'eux, s'asseoir, leur sourire puis s'effacer dans la nuit. Une fois vu son corps inerte, tout serait fini. Le nom de Cassie ne lui évoquerait plus qu'un visage froid, un corps roué de coups, des marques ocres et mauves parsemant sa peau. Alors elle repoussait ce moment, le plus possible, en s'accrochant désespérément aux dernières bribes de vie qui émanaient du souvenir de Cassiopée.

Luciole sentit sa gorge de serrer.

— Luciole.

Luciole releva la tête vers Mahery, les yeux brouillés.

— Tu as le droit de pleurer, tu sais.

Luciole ne répondit rien, mais sa vision se brouilla peu à peu. Elle sentit les bras de Mahery l'enserrer.

Quatorze ans. Il en faisait si peu, et tellement plus à la fois.

Luciole fondit en larmes.

Cassiopée était morte. Cassiopée était morte !

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