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LUCIOLE AVAIT QUINZE ANS la première fois qu'elle avait vu le ciel.
D'ordinaire, les Sangs-maudits n'avaient pas le droit de sortir : l'extérieur était réservé aux gens possédant des papiers d'identité en règle, ou à ceux suffisamment riches pour soudoyer les gardes gardant les quelques portes de sortie. Les gens comme elle n'y avaient pas leur place : les Svartaliens ne pouvait côtoyer la surface. La Cité Sombre ne se quittait pas si facilement.
D'aussi loin qu'elle se souvienne, Luciole avait toujours haï la ville souterraine. Que pouvait-on espérer d'une ville que même le soleil évitait ? C'était le lieu de tous les excès, là où se repaissaient les monstres sanguinaires et les étrangers malfaisants. Seuls quelques enfants, éternels optimistes, contemplaient les pancartes délavées du soleil et des arbres avec des yeux remplis d'admirations, persuadés qu'ils arriveraient un jour à s'enfuir. Les adultes, plus lucides, s'étaient résignés : l'important n'était pas de vivre, mais de survivre. Les rêves venaient après.
Luciole n'avait jamais rêvé. Elle était bien trop réaliste pour pouvoir espérer se bercer des mêmes illusions que d'autres, plus naïfs. Elle connaissait la dureté de la vie, la nécessité de ne pas trop s'attacher, de continuer à avancer malgré les espoirs brisés.
Jusqu'à ce qu'elle rencontre Cassiopée. Cassiopée et ses rêves fantasques, Cassiopée et sa joie de vivre, Cassiopée et ses plans d'évasions improbables.
Cassiopée avec qui elle s'était enfuie, il y a trois ans.
C'était un acte fou et désespéré. Les évasions étaient dures, coûteuses et souvent inutiles : il était impossible de survivre au monde extérieur sans une forte connaissance de celui-ci. S'y risquer revenait à se dresser en véritable paria des deux mondes, à condition de survivre.
Elle était devenue une paria. Elle avait survécu. Grâce à Cassiopée.
Elles avaient trouvé refuge à Maltea, la ville-fantôme dont personne n'entendait jamais parler. Elles vivaient au dessus de la ville souterraine, sous un autre nom. Elles avaient recommencé leur vie, une vie plus simple, bercée de douces soirées, de soleils couchants et de nostalgie dansante.
Elle avait cru qu'elle parviendrait à s'habituer. Elle avait cru qu'elle s'était reconstruite. Et elle avait réussit. Jusqu'à aujourd'hui.
Aujourd'hui, Cassiopée était morte. Cassiopée l'avait sauvée, et l'avait payé de sa vie.
Luciole avait quinze ans la première fois qu'elle avait vu le ciel, et c'était sous un océan d'étoile que s'était déroulé son premier baiser. La contemplation des constellations l'avait laissé coite. C'était la plus belle chose qu'elle avait vu : les étoiles. Les étoiles et leur douce chaleur, rassurantes et douces. Elles offraient la promesse d'un monde doux, rempli de chaleur, ignorant les horreurs du monde souterrain dans lequel elle avait passé toute son existence.
Trois ans plus tard, elle comprenait enfin à quel point elle s'était trompée.
Il lui avait fallu trois ans. Trois ans de joies, de bonheur, trois ans à profiter de la vie avant que ses démons ne la rattrapent, et s'emparent de la vie de Cassie. Le monde d'en-haut était peut-être plus beau, mais les gens restaient les mêmes.
Cassiopée n'était pas seulement morte ; elle avait été assassinée. Mahery l'avait retrouvée poignardée, abandonnée dans l'eau, le corps encore chaud. Des traces de lutte couvraient son cadavre, et des larmes sillonnaient son visage. La bataille avait dû être acharnée, au vu des blessures que son corps abordaient. Cassie avait dû résister longtemps. Peut-être même qu'elle avait failli gagner. Peut-être que ça ne s'était joué qu'à quelques minutes...
