Trois fois par jour, c'était le même rituel.
Le matin, après le petit déjeuner.
Le midi, suivant le déjeuner.
Et enfin, le soir, suite au dîner.
Sur le banc des accusés, une simple brosse à dent au poil souple, de couleur bleue, accompagnée de son basique dentifrice à la menthe forte, au tube blanc arrondit.
Vous savez, c'est ce dentifrice qui vous refroidit la cavité buccale, qui vous attaque doucement les papilles, la langue, parfois les voies respiratoires, mais par dessus tout, qui vous picote les lèvres.
Les lèvres. Des lèvres. Bordel. Ses lèvres.
Les siennes étaient parfaitement colorées par un vermillion pale. Des lèvres vermeilles, des lèvres humides, des lèvres divines. Mais surtout, des lèvres charnues, des lèvres épaisses, des lèvres adoucies par le passage de la pâte blanche.
Pourtant, même si l'acte du brossage de dent n'était, en soit, pas le plus séduisant en général, ici, il l'était tout à fait.
J'avais envie de les embrasser, ses lèvres.
Étais-je réellement en train de parler de cette pâte blanche, à la consistance douteuse, et d'en faire l'apologie ?
Sans nul doute.
Toutefois, vous ne pourriez sûrement pas comprendre l'effet de cette colle.
Évidemment, son but premier, connu de tout le monde, était de donner un minimum d'hygiène à cette cavité qui nous sert à cracher toutes sortes d'âneries à longueur de journée.
Aussi, lui donner une haleine fraîche pourrait se rajouter à l'objectif premier.
Or, je peux vous jurer qu'ici, pour moi, il remplissait avant tout une troisième et dernière catégorie.
Celle d'embellir naturellement ses lèvres.
Juste l'espace d'un instant.
Et je ne me pouvais m'empêcher de les observer. D'observer leur couleur, leur consistance, et ce magnifique anneau qui entourait cette lèvre inférieure. Cet anneau argenté, fin, qui me faisait de l'œil. Cet anneau qui me faisait vriller, qui me donnait envie, qui me narguait, qui les embellissaient, ses lèvres.
Ses lèvres. Je ne pouvais m'empêcher de les observer. Et de l'observer.
J'aimerais pouvoir le goûter, le dévorer. À vrai dire, de tout mon cœur, je le souhaitais. Profondément.
Il était si séduisant, si vous saviez.
Sa beauté m'enflammait. Elle réchauffait mes entrailles, les brûlaient, et réchauffait mon ventre, remontant des picotements dans tout mon être.
Sa mâchoire.
La ligne de sa mâchoire était si fine. Je n'avais jamais vraiment apprécié les mathématiques, mais je pouvais vous jurer qu'à l'œil nu, elle représentait un bel angle. Un très bel angle. Magnifique.
Sa peau.
Une douceur dont il ne cessait de prendre soins, y appliquant tous ces produits aux nombreuses effluves charmantes, qui me séduisaient tout particulièrement encore un peu plus chaque jour.
Son nez.
Indescriptible. Parfaitement taillé, surplombé d'une petite bosse, rajoutant une point d'esthétisme à la douceur de son visage.
Enfin, le plus important, ses yeux.
Vous pourriez tenter de mentir à qui vous voulez, s'il y a bien une chose qui vous trahirait toujours, sans pitié, ce serait vos yeux.
Les yeux ne mentent jamais.
Malheureusement, j'avais dû lui répéter des centaines de fois qu'il était mon meilleur ami, quand mes yeux me trahissaient autant de fois, sans aucun scrupule.
N'avais-je donc aucune volonté ? Aucune honte, aucune pudeur ?
Quel mauvais colocataire faisais-je là.
Mais bordel, ce que je le désirais, ce que je l'aimais.
J'aimais mon colocataire.
J'aimais son châtain clair,
j'aimais ses yeux,
j'aimais sa ligne de mâchoire,
j'aimais son nez,
j'aimais la douceur de sa peau,
j'aimais son corps.
Et par dessus tout,
j'aimais qui il était.
Mon meilleur ami,
Celui pour qui j'avais des sentiments.
Oh et, au vue de la manière donc ses yeux me regardaient, j'aurais pu avoir l'orgueil, la prétention de le qualifier de futur petit copain.
J'aurais pu, de même, me procurer l'arrogance de prévenir que ses lèvres étaient exactement comme je les avaient imaginées.
Douce, avec une pointe de rappel du passage précédent de la pâte blanche.
Du dentifrice.
