Maman

23 8 5
                                    

Le sable s'infiltre dans mes chaussures pourtant fermées. Je m'approche lentement de la mer, mes pieds sont à présent nus et s'enfoncent profondément dans cet espèce de sable trempé d'eau. Malgré le fait que cette marée basse soit d'un gris terne, elle me redonne le sourire. Un sourire que j'avais perdu il y a longtemps, devant ton cercueil.

Maman, si tu savais comme tu me manques. Tes boucles brunes qui me chatouillaient le visage, tes bras réconfortants qui me serraient contre toi quand je me sentais mal... que de bons souvenirs. J'essaye de sourire, c'est ce que tu aurais voulu. Je fais face à la réalité avec le calme que tu aurais souhaité. Mais ce n'est pas facile tous les jours. J'ai tellement envie de fondre en larmes, de m'écrouler sur mon lit et sangloter toute la soirée. Mais tu ne le voudrais pas.

Alors je détache mes cheveux, tu m'as toujours trouvée magnifique sans cette queue stricte qui me donne un air sérieux. Cheveux au vent, je me mets à courir sur la plage. L'air me fouette le visage et pique chaque centimètre carré de ma peau et, bizarrement, j'aime ça.

À la plage, tu me disais qu'il fallait que j'oublie tout, peu importe la gravité de la chose. Tu m'as même dis une fois que, si tu venais à mourir, la plage me servirait de mère. Et c'est la vérité. J'ai la même sensation que quand tu étais là, je peux même sentir l'odeur salée de ton parfum.

Tu le savais, n'est-ce pas ? Tu savais que tu allais mourir. Tu le savais depuis tout ce temps et tu ne m'as rien dit ? Mais après tout, je ne peux pas t'en vouloir. Pendant dix ans, tu m'as préparée mentalement à ta perte. Et tu as réussi.

L'eau m'arrive à mi-mollet, je suis obligée de soulever les pans de ma robe pour ne pas la mouiller. J'avance encore, jusqu'à ce que les vagues me fouettent le ventre. Je prends une grande bouffée de cet air salé qui me pique les narines. Je souris devant ce petit garçon qui barbote dans l'eau aux côtés de sa maman, souriante et bien vivante. Tu me manques... j'espère te rendre fière, Maman.

Je m'enfonce encore plus dans cette eau grisâtre. Elle m'arrive au niveau de la poitrine. Tu me disais toujours que le meilleur était quand on n'avait plus pieds. On devenait libre comme l'air, livré à nous-mêmes dans cette immensité grise. Alors on se concentrait seulement sur nos membres plongés dans l'eau, on oubliait le reste.

Quand je ne sens plus le sol humide sous mes pieds, un frisson me parcourt le corps. Ça y est. C'est comme dans mon enfance. Je lâche prise, je m'envole. Je nage dans cette... chose liquide qui porte le nom d'eau. Elle a la couleur du métal pur. Ça me suffit, je n'ai pas besoin d'aller dans ces étendues couleur azur qu'on trouve à Bali ou aux Bahamas. Non. La Mer du Nord, c'est très bien. Maman, tu m'as appris à apprécier ce qu'on a. Donc je vais perpétuer ces traditions, ces voyages à la mer. Et, pour une fois, je peux me permettre de craquer.

Les larmes se mêlent aux gouttes d'eau qui perlent sur mon visage. J'ai lâché prise, Maman. C'était notre rituel à toutes les deux. On se laissait aller, quand on était seules comme ça. Là, je suis vraiment seule. Mais je sais que tu es près de moi, pas physiquement, mais tu restes près de mon cœur. Tu peux me voir, j'en suis convaincue. Alors je pleure comme si tu étais à côté de moi, je pleure comme avant.

Je ne retiens pas mes larmes, je n'essaie pas non plus de les sécher. Je me laisse flotter et le reste se fait tout seul. L'eau gonfle ma robe, je me laisse emporter par le courant. Les yeux toujours rivés sur la plage, par prudence, je m'éloigne de plus en plus.

Je me vengerai, Maman. Cette foutue maladie qui t'a emportée... je te le promets, je ferai quelque chose pour que ce drame n'arrive plus à personne. Ça peut paraître idéaliste, irréalisable, mais si je continue de dire ça, on n'y arrivera jamais. Alors je ferai quelque chose. Quoi ? Je ne sais pas. Quand ? Le plus vite possible. Pourquoi ? Parce que je veux qu'un minimum de personnes passe par le drame que j'ai connu.

Après presque une demi-heure à la dérive, je sèche mes larmes et me rapproche de la plage. La nuit est en train de tomber, les touristes sont déjà rentrés dans leur hôtel. Je sors de l'eau et essore mes cheveux mouillés. J'enfile mes baskets et rejoins la digue.

C'est fini. Mon moment de craquage annuel est passé. Ça ne m'attriste pas, ce n'est pas le but. J'ai tout évacué, comme à notre habitude. Mes larmes attendront encore un an avant de couler à nouveau.

Ma robe plaquée à mon corps, je me promène dans les rues de la ville. Je me dirige vers la gare. J'y aperçois Papa. Il a beaucoup changé depuis que tu nous a quittés. Il a maintenant des cernes noirs qui lui donnent l'air d'un petit panda, ton animal préféré. Son crâne dégarni fonctionne en permanence, il doit s'occuper seul de moi et tous ses problèmes du quotidien. Il refuse catégoriquement de trouver une nouvelle femme. J'ai bien essayé de le raisonner, mais il ne veut rien entendre. Lorsque je m'approche de lui, il me sourit, sans poser de questions. Il me fait rentrer dans le train dans le plus grand des silences. Le train démarre dans une secousse violente. Je pose mon regard sur le paysage plongé dans la pénombre qu'on peut apercevoir à travers la fenêtre.

Je sais que tu es partie et que tu ne reviendras pas. Ça m'attriste vraiment, mais je l'accepte. Tu as rejoint les étoiles qui te passionnaient tant. Tu peux les voir de plus près, à présent. Je ne t'oublierai jamais.

Je t'aime, Maman.

You've reached the end of published parts.

⏰ Last updated: Sep 18, 2021 ⏰

Add this story to your Library to get notified about new parts!

Il était cent fois...Where stories live. Discover now