Chapitre 12 - Partie 2

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La roue de la calèche rencontra un énième trou et tangua pour la millionième fois. Adélaïde se détourna du texte dansant sous ses yeux un instant. Dès que la voiture se fut stabilisée, elle reprit sa lecture. Deux semaines s'étaient écoulées depuis leur départ et elle composait parfaitement avec les aléas de la route. En fait, elle préférait ce cahotement à l'immobilité de la tente qui avait fait office d'hôpital au camp militaire.

Pendant plusieurs jours, son état la cloua au lit. Le médecin lui interdit de bouger le moindre orteil pour ne pas rouvrir les coupures de ses bras et de ses jambes. Par chance, elles n'étaient pas trop profondes et du repos en plus de quelques points de suture suffiraient à la remettre sur pied. Éendel et Nathsyl se relayèrent auprès d'elle afin de s'assurer qu'elle respecte cette première consigne. Adélaïde apprécia leur compagnie, surtout celle d'Éendel qu'elle n'avait pas revu depuis le début des hostilités. Comme disait l'adage, jamais deux sans trois. Le chambellan la sermonna d'abord pour ses actions inconsidérées avant de prendre des nouvelles de son état de santé. Ils la distrayaient en badinant lorsqu'elle ne dormait, ce qui résumait le plus clair de ses journées. Elle entrevit le duc quelques fois lorsqu'il vint discuter logistique avec son second, mais leurs mots se perdaient dans la brume somnifère qui affectait sa concentration. Sa condition s'améliora véritablement qu'un jour avant leur départ. Nathsyl en profita pour la gaver de tout ce qu'elle pouvait trouver de comestible. Adélaïde avait beau lui expliquer qu'elle retrouverait son poids original avec un peu de temps, mais ce n'était pas suffisant. Elle plaignait le cuisinier que sa camériste harassait pour de la nourriture.

S'extirper de son lit s'avéra plus ardu que prévu. Ses faibles membres la réceptionnèrent difficilement. Ses derniers repas ne pouvaient compenser pour son jeune forcé et ses blessures en cours de guérison limitaient ses mouvements. Seulement quelques pas suffirent à l'épuiser même avec l'aide Nathsyl sur laquelle elle se reposait. Après quelques tentatives, Adélaïde réussit à s'éloigner de sa tente, mais ce fut tout de même dans les bras d'Isumvin qu'elle atteignit la voiture qui les mènerait à la capitale.

L'extérieur du véhicule plaqué de feuilles d'or annonça le luxe qu'elle découvrit derrière la porte. Les décorations dorées ornaient les murs et s'accordaient avec la finition des banquettes rembourrées de velours. Ces coussins moelleux l'attiraient particulièrement. Elle s'imaginait déjà s'y affaler. Nathsyl s'assit cependant à ses côtés et la seconde banquette accueillit Aseryn et Éendel. Adélaïde les regarda prendre place sur les coussins convoités, un peu déçue. Son étonnement dut se peindre également sur son visage, car Aseryn lui demanda :

– Vous semblez surprise Adélaïde.

La jeune femme resta coite un moment avant de répondre honnêtement :

– Je me demande seulement pourquoi vous voyagez avec nous cette fois.

– Bien, des ennuis se présentent à vous chaque fois que vous êtes seule ou vous y sautez à pieds joints. Puis, je ne pourrais pas me passer de mon bouclier humain. Que ferai-je sans vous si un assassin attentait à ma vie pendant le voyage ?

Les yeux d'Adélaïde s'étrécirent. Elle était incapable de déterminer si le duc plaisantait ou non. Le léger retroussement de sa commissure accentuait son ambivalence.

– Plus sérieusement, vous voyagerez avec nous pour profiter des commodités de la voiture royale, elle sera plus confortable qu'un brancard ou la croupe d'un cheval.

Ainsi débuta leur voyage vers la capitale. La routine s'établit rapidement. Adélaïde consacrait ses journées à dormir, lire et discuter avec ses compères de voiture. Éendel et Aseryn abordèrent certains éléments de travail auquel elle donna son opinion. Le chambellan les initia également à un jeu de cartes.

L'état d'Adélaïde s'améliora à mesure que les jours s'écoulaient. Elle se dégourdissait les jambes régulièrement et ses blessures ne la gênaient presque plus.

Une bosse détacha son regard une nouvelle fois de son ouvrage. Elle ne regretta pas cet inconvénient. Ils avaient franchi un tournant qui orientait sa fenêtre vers Nanfrea. Une muraille de pierres blanches ceinturait la ville, trouée d'une arche laissant apercevoir les bâtiments à l'orée des fortifications. Leur toit de cuivre roussi par le temps contrastait avec leur revêtement immaculé en accord avec les remparts. Les maisons se tassaient en bordure des routes pavées et animées par une foule dense. Les gens s'étaient rassemblés sur les trottoirs pour accueillir les guerriers victorieux. Une ribambelle de gardes surveillaient les habitants tout en les prévenant d'envahir l'avenue dégagée en leur honneur. Imperceptiblement, le convoi de soldats qui accompagnaient leur voiture bomba le torse sous les cris et les acclamations qui s'élevèrent au moment où ils furent en vue des portes. Les spectateurs se serraient sur des centaines de mètres, les plus jeunes sautillants d'excitation à côté de leurs parents qui saluaient les soldats de manière plus solennelle la procession. Les confettis volaient sur leur passage décorant le faible vent qui les transportait au-dessus de la chaussée parée de ces nouvelles couleurs éclatantes.

Adélaïde apprécia toute la vigueur du rassemblement, se sentant elle-même revigorée par leur énergie. Faire partie du défilé prodiguait un sentiment différent même si elle n'en était pas la vedette.

La clameur s'estompa lorsqu'ils traversèrent l'enceinte du château. Le palais royal dépassait en hauteur, et de loin, tous les autres bâtiments et s'enorgueillissait de multiples flèches et tours. Ce n'étaient pas ses seuls atours. Des ornements dorés et cuivrés entouraient chaque fenêtre et recouvraient chacune des statues. Sa façade étincelait sous les rayons de soleil qui se réfléchissait sur sa surface opale. Un bijou érigé en l'honneur de la monarchie en place, étalage de pouvoir et de force sur des kilomètres carrés de jardins luxuriants et de résidences secondaires qu'un poil moins exubérant que le palais.

Le faste avait marqué son aventure, mais Adélaïde ne cessait d'être émerveillée. Le décrire et l'expérimenté n'avait rien à voir. Quelques mots pouvaient enflammer son imagination, mais cette magnificence dépassait de loin son esprit dépassé.

Nathsyl dut d'ailleurs la tirer de ses pensées lorsqu'ils atteignirent l'entrée. Une cascade d'escaliers de marbre rejoignait la grande porte haute comme quatre hommes à l'allée dallée qui y menait. Au pied de cette impressionnante volée de marche se tenaient l'empereur et l'impératrice parés de leurs couronnes et de leur cape bordée de fourrure de martre. La scène était presque surréaliste.

– Vous n'avez qu'à vous arrêter à quelques mètres, vous n'avez pas besoin d'être plus proche pour les saluer, leur intima Aseryn tout en sortant le premier.

Le trio d'assistants le suivit à distance, traversant la haie de domestiques qui bordaient le chemin, presque plié en deux par leur révérence. Ils s'agenouillèrent, initiant la vague de génuflexions qui se propagea jusqu'au dernier guerrier qui les accompagnait. Aseryn se leva sous les yeux de l'empereur qui ne pouvait cacher sa fierté derrière ses airs dignes :

– Cela faisait longtemps mon fils, je suis heureux de t'accueillir aujourd'hui en héros. Ta victoire t'honore.

– C'est presque à se demander pourquoi vous n'avez pas su repousser les sauvages lors de votre dernière bataille, ne put s'empêcher d'ajouter l'impératrice avec le plus grand naturel.

Personne ne se formalisa de cette pique, à tout le moins pas explicitement.

– Nous avons organisé un banquet ce soir, je ne vous retiendrai donc pas plus longtemps. Toi et tes assistants êtes conviés à vous joindre aux festivités et une fête se déroulera en ville pour tes hommes. L'alcool leur sera offert, qu'ils ne manquent pas cette occasion de festoyer.

– Merci pour votre générosité, nous serons présents ce soir, confirma le duc tout en s'inclinant une nouvelle fois.

– Bien, vous n'avez qu'à suivre mon majordome, il vous conduira à vos quartiers. 

Livre OuvertWhere stories live. Discover now