Chapitre 5 - Partie 1

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Le duc attendait tout en fixant Adélaïde dont le sens des paroles prononcées venait à peine d'atteindre son cerveau sous une forme intelligible. Maintenant qu'une lame ne pressait plus sa jugulaire, les rouages de son esprit se remettaient lentement en marche.

Malgré son épuisement, elle se contraint à rassembler ses pensées. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien leur raconter? Un instant, elle pensa inventer une histoire reliée à Béku comme lorsqu'elle avait décidé de prévenir Éendel. Bien que monté de toute pièce, ce récit leur semblerait beaucoup plus logique. Toutefois, il ne serait pas simple d'expliquer comment elle avait su l'exact lieu et moment de l'assassinat. Personne, pas même les saints, n'était en mesure de prévoir avec une telle justesse un événement et pour cause, la magie n'existait pas. L'imprécision était la clé des charlatans qui s'improvisaient clairvoyants. Peut-être qu'Éendel goberait ses histoires de prémonitions, mais le duc et son scepticisme ne lui pardonnerait pas un mensonge aussi grossier. Allez savoir ce qu'il en conclurait, qu'elle était une espionne? Rien pour améliorer l'opinion qu'il avait déjà d'elle.

Le duc toussa, s'impatientant.

Le temps lui manquait, jamais elle ne pourrait pondre quelque chose de suffisamment crédible en une poignée de secondes. À tous les coups, une bévue la trahirait ou une question l'acculerait au pied du mur. Aprèsl'avoir démasquée, comment le duc réagirait-il? Si par chance elle réussissait à berner les deux hommes, ne retarderait-elle pas l'inévitable? Si son statut d'élu de Béku suffisait au départ pour commencer ses recherches, comment irait-elle au fond des choses si elle ne pouvait donner aucun détail sur sa condition? Si Éendel était passionné par le mystère qui l'entourait, le duc se méfiait d'elle comme la peste. Il serait probablement heureux de la confier à une confrérie et de ne plus jamais entendre parler d'elle. Seulement, ils n'avaient pas accès aux mêmes ressources qu'un membre de la famille royale qui n'était pas limité aux bibliothèques religieuses d'un seul culte. Il fallait absolument que le duc soit acquis à sa cause, qu'il ne l'écarte pas comme une vieille chaussette à la première occasion. Révéler la vérité servirait cet objectif, car Adélaïde pourrait étaler sa connaissance approfondie de cet univers. Cette dernière ne serait pas aisée à entendre, en fait, elle les choquerait probablement. Leur réalité basculerait en un instant. Ils ne seraient plus que de simples individus, mais des personnages d'un roman dont la destinée était tracée dans l'encre. La cerise sur le gâteau, elle en était l'auteure, celle qui les avait plongés dans la déchéance.

Aucune avenue n'était parfaite. D'un côté, elle prenait le risque de leur mentir et de perdre le contrôle de la situation et de l'autre, bouleversait leurs croyances et leur conception du monde. Sa première idée pouvait lui garantir plus de temps si elle jouait finement contrairement à la deuxième où la réaction de ses vis-à-vis déterminerait son sort dès ce soir. Elle doutait de ses capacités à mentir comme de l'acceptation de la vérité par Éendel et Aseryn.

Adélaïde pesa ses options.

Elle était une horrible menteuse.

La narration de tout ce qui s'était produit depuis le moment où elle s'était endormie devant son ordinateur ne dura pas moins d'une heure. Les deux hommes l'écoutèrent attentivement sans l'interrompre. Ils restèrent silencieux lorsqu'elle termina. Adélaïde gigota sur sa chaise, inconfortable. Qu'est-ce qu'elle ne donnerait pas pour savoir ce qu'ils pensaient à cet instant.

Éendel réagit le premier. Il se frotta le menton d'une main.

– C'est une histoire plutôt ... unique, avança-t-il, choisissant ses mots avec précaution. Avez-vous des preuves corroborant vos dires?

Adélaïde réfléchit un moment. Avant de se lancer dans l'écriture d'un roman, elle créait un document dans lequel elle ajoutait des faits aléatoires sur les personnages, les lieux et autres éléments de l'univers. Il y en avait un qui concernait le duc que lui seul connaissait.

Ce dernier la scrutait d'ailleurs, dans l'expectative de sa réponse. Adélaïde était convaincue de son scepticisme. Seuls les derniers événements devaient le retenir de ne pas ordonner qu'on se débarrasse définitivement d'elle. Adélaïde s'éclaircit la gorge avant de se lancer, bien consciente que les prochains mots qu'elle prononçait étaient cruciaux. Elle se tourna vers le duc, le principal intéressé par ce prochain récit :

-Lorsque vous étiez plus jeune, vous avez surpris sur le fait des domestiques déplaçant les effets personnels de feu votre mère pour être vendus à une œuvre de charité sur ordre de votre belle-mère. Vous avez réussi à récupérer quelques bijoux avant d'être expulsé par des soldats. Vous avez couru à perdre haleine dans les jardins royaux. Vous avez trébuché sur la racine de l'arbre creux où vous avez enterré les bijoux. Vous ne les avez pas encore récupérés à ce jour.

Ces dernières phrases plombèrent l'ambiance. Si le duc n'avait pas bougé, sa mâchoire s'était visiblement contractée. Adélaïde déglutit péniblement. Peut-être aurait-elle mieux fait de choisir une autre anecdote ou de la raconter avec plus d'empathie. Elle s'était purement contentée de réciter ses notes. La nervosité l'emporta et elle reprit la parole, débitant à toute vitesse :

-Je suis désolée si je vous ai vexé, je voulais seulement vous prouver que je disais la vérité et souligner le fait que je connais le passé comme le futur de plusieurs personnages, personnes, rectifia-t-elle, dont l'impératrice. Je pense que vous devriez le considérer avant d'envisager quoi que ce soit d'inconsidéré...

Elle se tut alors que le duc soulevait la main qui couvrait ses yeux pour lui lancer un regard pétrifiant digne d'une gorgone qui l'enjoignait à se taire.

Abasourdi, Éendel ouvrit la bouche par deux fois avant de l'intimer de quitter le bureau.

– Nous vous rejoindrons dans un moment. Les gardes vous conduiront aux jardins.

Il lui proposa sa main pour qu'elle se lève de son siège et l'accompagna à la porte. Il interpella deux des soldats qui s'étaient rassemblés à la porte et leur répéta sous forme d'instructions ce qu'il venait de lui dire un moment plutôt. Ils acquiescèrent et ouvrirent la voie.

– Vous pouvez les suivre, vous n'avez rien à craindre, l'encouragea Éendel.

Adélaïde sursauta et remarqua qu'elle n'avait pas bougé. Les soldats l'attendaient quelques mètres plus loin.

– Je suis désolée, baragouina-t-elle.

– Attendez.

Éendel disparut un instant dans le bureau et en revint avec une couverture qu'il drapa autour de ses épaules. Il lui sourit tristement et ferma la porte.

– Mademoiselle? s'enquit l'un des gardes.

– Je vous suis

Ils dépassèrent la chambre du duc. Adélaïde combattit chaque fibre de son corps gorgée de curiosité qui la poussait à regarder, sachant pertinemment que c'était un cadavre baignant dans son sang qui gisait sur le parquet.

Elle respira plus librement lorsqu'ils se furent éloignés. Bientôt, ils émergèrent dans les jardins. Une brise caressa sa joue, apportant avec elle les parfums des différentes fleurs aux corolles colorées, baignées par le clair de lune. Un paysage estival idyllique, bruissant au rythme du vent, chef d'orchestre effacé, contrairement à ses musiciens qui recevaient toute l'attention des projecteurs stellaires. Une scène sereine, complètement indifférente aux atrocités qui s'étaient déroulées au deuxième étage. Adélaïde frissonna sous sa couverture. Si elle se concentrait suffisamment, elle pouvait encore sentir la lame baisant sa peau, menaçant sa jugulaire.

Il s'en était fallu d'un cheveu, encore. Quel univers de dingue! Complots et trahisons au menu. La prochaine fois qu'elle écrirait, ce serait un livre d'enfants mettant en scène des bisounours!

Elle déambula un moment entre les arrangements floraux, dans l'attente qu'Éendel ou le duc la rejoigne. Nonobstant, ce manège l'épuisa. Elle avait beau avoir passé la majeure partie de sa journée assise, elle était à bout de force, vidée. Un banc soulagea ses jambes de l'obligation de la porter. La fatigue l'accabla comme un mur de brique. Ses yeux papillonnèrent contre son gré et sa tête dodelina à mesure que le sommeil prenait le dessus.

***

Le chapitre est un peu court, mais j'espère que vous apprécierez!

Maude

Livre OuvertWhere stories live. Discover now