Chapitre 4 - Partie 2

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L'attente fut terriblement pénible.

Elle n'avait non seulement rien pour se divertir ou passer le temps, elle était coincée dans cette position. Des fourmillements avaient débuté à traverser ses membres aussi peu qu'une demi-heure après s'être assise. L'engourdissement accapara ensuite ses membres un par un. La luminosité de la chambre n'avait pas encore changé d'un iota qu'elle aurait juré que ses pieds avaient bleui en raison de sa mauvaise circulation sanguine. Sa langueur amplifiait chacune de ses sensations et rien ne pouvait l'en distraire. Compter les lézardes au plafond aurait fait l'affaire, mais il n'y en avait aucune!

Inéluctablement, le temps s'écoula. Des teintes orangées se déversèrent dans la pièce, embrasant chaque objet qu'elle couvrait, puis les ténèbres de la nuit reprirent leur droit sur le crépuscule. Du moins jusqu'à ce qu'une bonne vienne allumer le foyer pour réchauffer la chambre. Cette dernière passa en coup de vent et ne remarqua pas sa collègue dissimulée qui s'était appliquée à observer la plus grande immobilité.

Le duc arriva enfin. Adélaïde entendit la porte s'ouvrir puis se refermer en grinçant légèrement. Quelques secondes plus tard à peine, le son des draps que l'on repousse et frotte l'un contre l'autre lui parvint. Il devait être bien épuisé pour se jeter à corps perdu dans son lit de cette manière, ou bien saoul. La seconde option était la bonne si ses souvenirs ne la trahissaient pas. Rien de mieux qu'une bonne cuite après une destitution et pour mettre la table pour un assassinat en règle. Adélaïde relâcha son souffle.

« Moi aussi je m'allongerais bien sur un lit! Ce n'est pas nécessaire de me remercier » ironisa-t-elle.

Autant s'était-elle plainte tout l'après-midi que chaque seconde lui semblait une éternité, autant il lui sembla que tout se déroula beaucoup trop vite. Peut-être était-ce parce qu'elle appréhendait ce moment? Quoi qu'il en soit, de son point de vue, l'assassin se présenta plus rapidement qu'elle ne l'aurait souhaité. En fait, si elle ne savait pas mieux, elle aurait juré que le prince s'était assoupi il y a quelques minutes à peine.

Elle n'était pas prête, surtout pas à ce qu'il s'introduise par la fenêtre dont elle avait choisi les rideaux pour être sa cachette! Dès que son ombre obstrua la lumière de la lune, un film de sueur enroba ses mains et son cœur s'accéléra. Il était là, à moins d'un mètre, poussant discrètement les carreaux.

Toute cette journée n'avait pas suffi à la préparer à cet instant. La présence de cet odieux individu la paralysait. La perspective de mourir était plus claire que jamais. Son imagination fonctionnait à plein régime et des dizaines de scénarios s'enchainaient dans son esprit. Pour la deuxième fois depuis le début de cette épopée folle, la peur l'envahit. La vraie, celle qui se répand comme une injection de mercure glacé dans les veines, empoisonnant chaque parcelle de tissu vivant et liquéfiant son estomac. Son envie d'intervenir se volatilisa en un claquement de doigts alors que son désir de vivre s'imposait, impérieux.

L'assassin enjamba le dormant et posa ses pieds avec la délicatesse d'un chat sur le sol. Les secondes étaient comptées. Si elle n'intervenait pas, le duc mourrait et elle survivrait. Sa lâcheté la dégouta. À quoi bon toutes ces bonnes intentions et tous ces efforts si c'était pour se dégonfler au moment d'agir. Combien de fois avait-elle été coupable du crime de la passivité? Cependant, cette fois-ci, il n'était pas question d'heures supplémentaires ou de salaires, mais d'une existence humaine. Adélaïde enfouit l'appel de son instinct de survie sous une dose de froide raison, ne laissant place qu'à son objectif : sauver le duc.

Adélaïde rompit son immobilité et, le plus silencieusement possible, s'extirpa des rideaux. Ses muscles endoloris ajoutèrent leur protestation à celles qui l'intimaient déjà de ne pas faire un mouvement de plus. La jeune femme n'était plus à leur écoute, concentrée sur le dos de l'assassin qui avait réduit la distance qui le séparait de sa proie. Tout en se redressant, elle attrapa le tisonnier qu'elle leva tranquillement au-dessus de sa tête. Sans geste brusque, Adélaïde s'approcha, le son de ses pas amorti par les tapis molletonnés.

Ce n'était plus qu'une question de centimètres avant qu'elle ne soit à porter au moment où l'assassin se retourna. Était-ce le battement de son cœur qui résonnait trop fort dans sa poitrine, son souffle ou sa démarche qui l'avait trahi? Peu importait, il avait maintenant les yeux braqués sur elle. Adélaïde réagit au quart de tour. Un saut vers le meurtrier l'approcha suffisamment pour asséner un coup. Le tisonnier n'amocha malheureusement que du bois, générant un concert de craquements et un jet d'écharde alors qu'il s'enchâssait dans la table de nuit. L'homme ne s'était pas vu attribuer cette mission pour rien. Il était un professionnel. C'est ce que réalisa Adélaïde lorsque ce dernier, qui ne s'était qu'écarté d'une enjambée, la fixa, moqueur.

La jeune femme tira désespérément sur le tisonnier, mais ce dernier était coincé. L'assassin se jeta sur elle, plaquant une main sur sa bouche avant qu'elle ne puisse crier. Il la renversa au sol et la douleur irradia à la base du crâne d'Adélaïde qui se débattit de toutes ses forces malgré tout. Le poids de l'homme la maintenait fermement en place et elle avait beau se démener comme un diable, jamais elle ne triompherait de cet étau.

Elle sentit la lame froide du couteau se positionner sur sa gorge plus qu'elle ne le vit, sa vue embrouillée par des larmes de rage et de détresse.

Du sang se déversa sur sa poitrine. Excepté, ce n'était pas le sien. Le duc était un soldat. Où qu'il soit, son épée l'accompagnait, justement pour des situations du genre. Le raffut qu'avait causé Adélaïde avait suffi à éveiller Aseryn, gueule de bois ou pas. L'arrogance l'avait-elle emporté sur la raison de l'assassin qui avait vainement tenté de se débarrasser d'elle pour terminer sa mission? Sa vie aurait-elle été menacée s'il avait échoué. La vérité était à jamais perdue, étouffée dans des bouillons de sang. L'arme du duc était à présent fichée dans le torse de l'assassin qui exhala son dernier râle. En un chuintement, le duc dégagea sa lame. Le corps tomba sur la jeune femme qui poussa un petit cri. Aseryn la libéra de ce poids mort d'un coup de pied. Le cadavre roula sur le côté. Des tremblements incontrôlables secouèrent Adélaïde qui ne bougea pas, réalisant à peine que la menace fût écartée.

La porte vola contre le mur, révélant Éendel, pantalon à peine enfilé et chemise déboutonnée, accompagné de deux gardes. Inquiet d'abord, Éendel paniqua lorsqu'il aperçut le cadavre.

– Êtes-vous blessé? s'enquit immédiatement ce dernier.

– Non, grâce à ta protégée, je n'ai pas une égratignure.

Éendel haussa les sourcils et s'aperçut que la jeune femme gisait sur le sol, encore en état de choc.

– Nettoyez-moi ça, commanda le duc aux soldats. Toi, boutonne cette chemise, nous avons un entretien à devancer.

Aseryn attrapa le bras d'Adélaïde qui gémit et la remit sur pied sans ménagement. Il la tira jusqu'à son bureau, poussant une étagère de la bibliothèque qui pivota pour leur ouvrir le chemin, n'accordant aucune importance aux jambes flageolantes de cette dernière.

« Ah, c'est comme ça qu'elle m'a roulé la petite garce » pensa Adélaïde malgré son esprit engourdi.

Il l'assit dans un des fauteuils autour de son bureau avant de s'appuyer contre le meuble, les bras croisés.

Éendel devina les intentions du duc et s'apprêtait s'opposer, mais Aseryn le devança, tranchant :

– Je ne veux rien entendre de ta part, en revanche, je compte bien sur le fait que cette demoiselle nous explique pourquoi elle se trouvait dans ma chambre, combattant un assassin à coup de tisonnier.

Le duc planta son regard acéré dans celui de la jeune femme qui reprenait à peine ses esprits.

– Vous allez me raconter toute l'histoire depuis le début.

***

Désolé pour le retard!!

Je publie 2 chapitres cette semaine pour compenser :P 

Livre OuvertWhere stories live. Discover now