Triple

Devenir femme

Ma vie de prêtresse toute au service de son culte a changé avec Beltane. J'ai été choisie parmi les autres femmes de l'Ordre pour incarner la Déesse au cours de la cérémonie symbolisant l'équilibre entre les forces masculines et féminines. Bien que connaissant le sort auquel j'étais destinée au petit matin, je me devais de jouer le jeu millénaire de traditions ancestrales : ne pas me laisser capturer sans avoir tenté d'échapper à mon assaillant. La Déesse ne pouvait demeurer plantée là, à attendre, pour s'offrir gorge dénudée à un Dieu-Cerf en rut bien décidé à assouvir sa faim sexuelle. Non... La fête de Beltane était une chasse, une danse, une manifestation de pouvoir : le jeune homme investi rituellement dans sa fonction devait également mériter la jeune femme incarnant la Déesse, en faisant montre de subtilité, d'intelligence et de tactique.

La nuit était belle, les étoiles piquetaient un ciel sans nuages. La lune, ronde et pleine, illuminait ma course sous les arbres. Je me déplaçais en silence, furtive comme un courant d'air, avec pour objectif de me fondre dans la forêt, d'être la biche que j'étais censée incarner. Il me suivait, lui, mon cerf, mon dieu. Mon futur amant. Il n'était jamais loin de moi, mais j'étais plus légère qu'un feu follet, et je lui échappais tel un nuage de fumée. C'est lorsque l'aurore para le monde de roses que le jeune Dieu Cornu me captura enfin, et me conduisit dans un lieu abrité. Il était parfait : svelte et aux muscles aussi déliés que ceux du cerf qu'il représentait. Un duvet doré couvrait ses jambes et son sexe. C'était la première fois qu'un homme nu se tenait devant mes yeux curieux et ébahis. Mon ordre est composé exclusivement de femmes, et malgré mes rencontres avec Merlin, je n'avais jamais eu l'occasion de le voir dans le plus simple appareil ! Lorsque l'élu du Dieu m'a prise, je me suis perdue dans ce regard bleu glacial magnifié par son masque orné d'andouillers. Oui, il était parfait. Après le déchirement, j'ai connu le véritable plaisir qui monte comme vient la marée pour ensuite refluer, emportant tout sur son passage. Même si je savais que je ne devais jamais le revoir, m'avoir fait découvrir le sexe avec une telle douceur, une telle pudeur, une telle maladresse aussi — sans doute étais-je sa première également — constitue le plus merveilleux des cadeaux.

Par la suite, j'ai mis d'autres hommes dans mon lit. Certains aimés, d'autres utilisés, parfois détestés, souvent respectés. Néanmoins, mon rapport à l'homme a été influencé par cette première fois avec mon amant aux cheveux d'or et aux yeux de saphir. Un port, une allure de roi. Si j'avais su ce jour-là quelle farce les dieux m'avaient jouée... Aurais-je reculé ? Ou alors, aurais-je embrassé à bras ouverts ce destin tragique que le Dieu et la Déesse m'avaient tracé ? Oui, fort probablement...