Chapitre 1

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Ses grandes oreilles remuaient dans toutes les directions, à l'affût du moindre bruit. Les longs poils gris qui les recouvraient s'agitaient au gré du vent. Ses membres étaient raides et immobiles, son corps en alerte.

– Reviens ici ! ordonna Elina.

Le petit animal avait repéré deux sauterelles bien juteuses et était déterminé à s'aventurer sur le chemin qui s'ouvrait devant lui.

– Kiko ! souffla-t-elle. Si tu sors de ce buisson, tu ne mangeras plus une seule sauterelle de ta vie ! Tu m'entends ?

La jeune fille avait touché une corde sensible. Il hésita devant le regard menaçant que lui lançaient les yeux émeraude de sa jeune maîtresse. Elle en profita pour lui attraper les pattes arrière, d'un geste vif.

– Je t'ai dit de te tenir tranquille ! Tu sais très bien qu'on ne peut pas nous voir ici.

Le corps gris du jeune aye-aye* se relâcha, ses oreilles s'affaissèrent et il contempla d'un air frustré les deux insectes qui s'éloignaient à travers les hautes herbes.

Elina n'avait pratiquement manqué aucun entraînement des écuyers du roi, depuis le jour où elle s'était dissimulée dans ce même buisson avec l'un de ses frères, Aymeric. Elle s'en souvenait comme si c'était hier. Les chevaliers avaient exécuté une démonstration lors de la fête annuelle de son village, Le Rouge. Du haut de ses huit ans, elle avait tant supplié pour y assister qu'Aymeric avait fini par céder. Ils n'avaient pas acheté de places, mais son débrouillard de frère avait déniché la cachette idéale.

– Ecoute, je crois qu'ils arrivent !

Kiko bondit sur l'épaule d'Elina et se blottit dans son cou, comme à son habitude. Elle aimait le sentir se pelotonner sous les élégantes boucles brunes qui lui couvraient le dos.

Le cliquetis des armures, les voix encore étouffées des hommes et le martèlement des sabots sur le sol se firent entendre. Ils étaient nombreux.

– J'espère que Falkor sera là !

Elina n'osait pas sortir la tête de sa cachette et se contenta d'observer à travers les feuilles l'impressionnante lice* qui s'étendait devant elle. Il s'agissait de l'une des plus belles et plus grandes arènes de la région. Les chevaliers du roi s'y entraînaient quotidiennement.

Elle contempla ensuite le château, un peu en retrait du village, sur les hauteurs. Elle ne pouvait en imaginer de plus majestueux. Il s'en dégageait à la fois force et tranquillité. La seule route d'accès au château était barrée d'une large porte gardée et entourée d'une dense forêt. L'arrière de l'imposante bâtisse surplombait une colline escarpée. Le donjon, les tours, la chapelle et tous les bâtiments annexes étaient blancs, surplombés de toits coniques gris foncé. Le châtelet d'entrée, entouré de deux tourelles blanches, était rouge brique, en hommage au village qu'il protégeait : Le Rouge. Les gens aimaient et respectaient le roi de la région, Son Altesse Amaury de Languedoc.

Une large muraille, percée de quatre portes, entourait le centre du village. Au-delà de l'enceinte, les demeures s'éparpillaient au hasard, certaines le long du chemin, d'autres à la lisière de la forêt, comme celle d'Elina. Son père y avait emménagé avec ses quatre enfants, une douzaine d'années auparavant. Elina, la seule fille et cadette de la fratrie, était alors âgée de deux ans.

Par bonheur, la fenêtre de sa chambre lui offrait une vue imprenable sur la forteresse et elle ne se lassait jamais de l'admirer, tantôt dans la brume, lors d'un froid matin d'hiver, tantôt resplendissant au soleil, par un lumineux après-midi d'été. Elle aimait vivre ici. Elle adorait la chaleur que dégageaient ces maisons de grès rouge qui flamboyaient lorsque le soleil disparaissait à l'horizon.

ElinaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant