L'héritage de l'Inu no Taisho

Prologue - Six démons dans les ténèbres

Tapies dans l'ombre, dans une pièce saturée d'encens, six silhouettes assises se tenaient en cercle. Chacune arborait un masque sur le visage où les lueurs des bougies se reflétaient, mouvantes. Celle avec le kiseru fumant en main était dissimulée par le faciès grotesque d'un oni doré dont les dents supérieures, exagérément longues, s'esquivaient sur les côtés. Il possédait, en plus de ses crocs menaçants, une paire de cornes surmontant une arcade sourcilière proéminente crispée dans une expression de colère.

A sa droite, la silhouette voisine portait un masque peint selon le maquillage keshō du théâtre kabuki. Il était composé d'une base blanche à laquelle des kumadori rouges venaient prêter un air sévère souligné par des traits noirs en guise de sourcils et de paupières inférieures.

A la droite de celle-ci, le visage était déguisé sous un loup noir qu'une ligne rouge verticale traversait de la truffe jusqu'au front où elle se scindait en deux pour dessiner les contours d'un cercle. Ses pommettes et ses yeux étaient soulignés par des traits rouges, et le creux des oreilles rehaussé de fils d'or.

Encore à droite, un renard blanc avait des yeux en amande, quasiment à la verticale, peints en rouge tout comme son petit sourire malicieux, ses sourcils, le trait entre ses yeux encadré de deux points et le reste des arabesques ornant ses joues.

Continuant ainsi, se tenait à la droite du renard, une silhouette avec un masque de tengu. Vilain avec son immense nez, il était rouge, les yeux jaunes, furieux, une bouche en « U » à l'envers au-dessus d'un menton à fossette particulièrement saillant.

Enfin, la dernière silhouette se cachait derrière le masque de Noh d'une femme. Les sourcils hauts, les traits lisses, les yeux en amande, le nez large et un peu aplati au-dessus de lèvres rouges, le visage était inexpressif. A l'image de son propriétaire, sans aucun doute.

— Le minuit sonne le jour où l'Inu no Taisho est mort, plus de 200 ans avant cette nuit, introduisit la voix grave et austère sous le masque du tengu.

Les six laissèrent un instant le souvenir du défunt planer.

Cela faisait exactement deux-cent-dix ans que l'Inu no Taisho avait disparu, laissant derrière lui une première épouse, deux fils et un très vaste territoire, tombant en décrépitude, où yokaïs et hommes faisaient la guerre impunément. Le roi était tombé et ses sujets se disputaient les restes de son royaume dans une parfaite anarchie.

— Aucun des deux fils n'a jamais réclamé sa succession, reprocha le masque de kabuki, dont l'expression s'associait parfaitement avec son ton acerbe.

— Les deux ? releva mielleusement le kitsune, une pointe de malice dans la voix. Tu considères l'hanyo susceptible de tenir l'Ouest ? Amusant ~

Le keshō grogna en direction du renard, furieux que ses propos soient détournés dans un sens qui le supposait en faveur d'une égalité entre démons à part entière et sang-mêlé.

— L'aîné est dangereux mais je me méfierais tout de même du cadet, Kitsune. Il a porté le coup de grâce à ce Naraku. Mais puisque ni l'un ni l'autre ne s'intéressent à l'Ouest, n'est-ce pas une chance, Goryo, d'avoir la mainmise sur le territoire de l'Inu no Taisho ? interrogea de façon rhétorique la voix rugueuse et âgée du masque d'oni doré.

— Rien n'assure qu'ils ne riposteront pas tandis qu'on s'appropriera leurs terres, fit remarquer le renard.

— Je doute très honnêtement que leur attention se tourne vers nous alors qu'ils ont négligé si longtemps le royaume de feu leur père, commenta le tengu.