Les Bonnes Personnes

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Très vite, je me suis rendue compte que je ne pouvais pas suivre leurs discussions. Elles parlaient de musiques que je n'avais jamais entendues, d'émissions que je ne regardais pas, de films que je n'avais pas vus et de boutiques dans lesquelles je n'étais jamais allé. Je n'avais rien à leur dire, en tout cas rien qui ne les intéressaient. Comme je ne pouvais pas participer à leurs échanges, souvent je me taisais. J'étais avec elles, physiquement, assise à côté d'elles dans la cour ou en classe, mais mon esprit était ailleurs. Je rêvais, je pensais à tout un tas de choses, sauf à ce qu'elles partageaient entre elles. Petit à petit, nous nous sommes éloignées. Cela s'est fait naturellement. Elles n'avaient plus envie de passer du temps avec moi, et finalement, moi non plus.

Les mois ont passé, et j'ai terminé cette première année au collège comme je l'avais commencé : seule. J'avais beaucoup d'espoir pour l'année suivante, et j'étais certaine qu'à la rentrée je me ferais de nouvelles amies. En cinquième j'ai retrouvé quelques personnes de l'année précédente, mais aussi quelques filles de mon ancienne école primaire. J'étais ravie, et je suis revenue vers elles immédiatement. Mais ça n'a pas marché avec elles non plus. Nous avions toutes beaucoup changé en un an, et nos caractères et nos goûts n'étaient plus assortis. Nous avions pris des chemins différents. Encore une fois, je me suis retrouvée seule.

C'est à cette époque qu'internet a commencé à faire partie de mon quotidien. Je passais des heures derrière l'ordinateur du salon, à faire des recherches sur tout et n'importe quoi. Et j'ai découvert des tonnes de choses intéressantes. Je me suis mise à jouer à des petits jeux en ligne. J'adorais ça. C'était un moyen parfait de m'amuser seule. Plus je jouais, plus je découvrais de nouveaux jeux, de nouveaux univers, et plus je m'amusais ! J'ai fini par acheter des jeux PC, puis j'ai demandé une console à mes parents. C'était un passe-temps parfait pour la fille solitaire que j'étais devenue. Enfin, un jour j'ai découvert un MMORPG, un jeu multijoueur en ligne. L'univers était riche, intéressant, et l'histoire évoluait sans cesse. C'était merveilleux ! J'y passais tout mon temps libre. Et j'ai fini par rencontrer d'autres joueurs. Oh bien sûr je dis "rencontrer", mais je ne les voyais pas en vrai. Je discutais avec eux sur le chat du jeu, ensuite en vocal avec casque et micro. C'était nouveau pour moi, et je peux dire que je me suis fait mes premiers amis à ce moment-là. Et pourtant, encore aujourd'hui, il y en a plusieurs que je n'ai jamais vus autrement qu'en photo.

A cette époque-là, jouer aux jeux vidéos n'était pas très bien vu. Au collège on m'a encore plus isolée. Je faisais partie des marginaux, des gens dits bizarres. Mais cela ne me rendait plus triste. J'étais habituée, et mes amis en ligne me suffisaient.

Nous formions une belle équipe, et nous étions tous différents. C'est en discutant avec eux que j'ai découvert tout un tas de choses géniales et nouvelles. C'est avec eux que je me suis construite. Ils m'ont fait découvrir les mangas. Je ne lisais plus que ça à l'époque. Ça a été une véritable révélation. Un coup de cœur. J'ai commencé à écouter des groupes de musique japonais, à regarder des séries et des films japonais. J'ai découvert ce qu'était vraiment le rock, et j'ai commencé à changer ma façon de m'habiller. Je ne mettais que du noir et je portais des chaussures avec des grosses plateformes. Mon père se moquait de moi, et ma mère essayait toujours de glisser un t-shirt de couleur dans mes armoires. Aujourd'hui quand j'y repense ça me fait rire. Mais peu importe, je devenais celle que j'étais vraiment, j'apprenais à me connaître et à m'assumer. Et j'ai fini ma deuxième année de collège en étant bien plus heureuse que l'année précédente.

L'été est passé et je suis entrée en quatrième. Dès le mois de septembre les gens ont commencé à se moquer de moi. J'étais toujours cette fille un peu bizarre d'après eux, toujours seule, à écouter des morceaux dans une langue qu'ils ne comprenaient pas, et qui ne portait jamais de couleurs claires. Cet été-là j'étais peu sortie de la maison. J'habitais le sud de la France mais je n'aimais pas la chaleur, ni le soleil. Je préférais jouer plutôt que d'aller à la plage et me faire bronzer. J'étais la fille la plus pâle de la classe, et les insultes ont commencé rapidement. On m'appelait le fantôme, le vampire, on me tirait les cheveux et on me bousculait dans les couloirs. Comme je n'avais pas d'amis au collège, personne ne prenait ma défense. Plus les mois défilaient et plus les brimades et les injures devenaient violentes. Je vivais plutôt bien la solitude, mais beaucoup moins le harcèlement, les attaques et les coups. Aucune de mes tentatives pour faire cesser tout ça n'a fonctionné. J'ai essayé d'ignorer mes camarades, de parler avec eux, de leur faire comprendre, mais rien ne marchait. Les choses ne changeaient pas.

Les Bonnes PersonnesWhere stories live. Discover now