𝑑𝑒́𝑠𝑎𝑐𝑐𝑜𝑟𝑝𝑠

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Je sais, ça fait des années que je retarde cette entrevue avec toi. Je t'ai longtemps ignoré, jusqu'à ne plus te regarder.

Je suis en désaccorps avec toi, mon corps.

Il faut être honnête, nous n'étions pas faits pour nous entendre et je t'ai souvent repoussé pour de multiples raisons. Des années durant, je t'ai camouflé sous des couches de vêtement un peu large. Je t'ai aussi engraissé pour oublier que tu existes, puis, finalement, j'ai arrêté de te nourrir en espérant que tu disparaîtrais. J'ai parfois la mauvaise sensation d'avoir joué avec toi comme avec un yoyo, ce n'était pas très sympa de ma part.

Comprends-moi, tu étais tout ce que je déteste. Mon reflet dans le miroir me renvoyait l'image d'un mensonge, comme un instrument mal accordé, en lien avec mes pensées et ma personnalité. Tout le monde le voyait, même les enfants qui, dans la cour de récré, te pointaient du doigt en riant aux éclats.

C'est marrant, comme j'ai pu songer pendant tant de temps que tu n'étais qu'une peau sans jamais faire attention à l'intérieur. Une façade que je regardais sans même essayer de contempler les coulisses par les fenêtres. Les premiers émois d'émotions ont vite pris le dessus, et j'ai commencé à prendre conscience du cœur qui bat en toi et de ces organes qui m'ont tant de fois alerté sur mon anxiété.

Je n'ai pas su écouter, faisant le sourd face à tout ce que tu voulais me dire.

Aujourd'hui, je déplore que certaines mains aient pu te toucher, je regrette de t'avoir laissé embrasser des bouches qui ne te méritaient pas, quand bien même je ne t'estimais pas. Je t'ai fait du mal en essayant de rattraper mes conneries d'enfance, j'ai dû forcer pour tenter de m'améliorer et commencer à t'aimer, et tu m'as bien renvoyé l'ascenseur à coup de courbatures.

J'ai souvent négligé ce que j'ai bien pu te faire avaler. Il y avait peut-être un autre moyen de s'amuser que de te bourrer d'alcool, de fumée et de cadavre d'animaux du supermarché. Je n'aurais pas dû t'emmener dans des fastfoods justes parce que j'avais la flemme de cuisiner, ou parce que c'était cool de faire un snap avec de la merde joliment emballée.

Ça aussi, je n'ai pas su l'écouter à chaque fois que je me pliais en quatre, à chaque moment où j'avais du mal à respirer ou quand je vomissais mes tripes.

Je suis vraiment un enfoiré.

À l'heure actuelle, je me demande comment, à l'époque, j'ai pu respecter les autres alors que je ne me respectais pas moi-même.

Dans le fond, je savais très bien qu'un jour, ce petit jeu allait finir par me brûler. Les crises d'angoisses, c'est le moyen que tu as trouvé pour m'arrêter, n'est-ce pas ? Je ne vais pas mentir, je l'ai bien mérité, même si je t'ai maudit pour ça. Il faut dire que, tu y es allé un peu fort.

Je ne t'en veux pas, même s'il m'arrive encore de pleurer pour ça, ce mal à changer ma vie dans un bon sens. Moi qui ne désirais jamais ressentir mon corps, je me suis retrouvé obligé de cohabiter avec lui comme un compagnon de cellule. Tu m'as incarcéré, condamné au crime le plus violent que l'on puisse s'infliger.

J'ai commencé à essayer de m'échapper, testant n'importe quel moyen de pouvoir creuser une issue de secours dans ma prison. J'en ai passé des nuits entières à chialer parce que tu me faisais croire que j'étais en train de mourir, me rappelant à chaque fois que, tout compte fait, je n'ai pas envie de te quitter.

Trois longues années, c'est le temps qu'il nous a fallu pour finalement s'entendre. Tu le sais, que, même aujourd'hui, je ne suis pas intégralement satisfait. J'aimerais que cette foutue barbe cesse de ressembler à celle d'un gosse de seize ans, que mes cheveux bouclent naturellement autrement que sous la pluie, que ma voix soit plus grave, que mes mains soient moins grandes...

Mais ce n'est pas de conséquence, je t'accepte comme tu es et, chaque jour, j'essaie d'arrêter de te cacher malgré mes difficultés.

Merci, pour ta patience, pour les merveilleuses leçons que tu m'as inculquées, et, surtout, merci de me garder en bonne santé. Je t'ai souvent repoussé, néanmoins, tu sais ô combien cette peur de te connaître malade m'a obsédé, et me hante encore parfois.

Mais promis, ça aussi, j'arriverais à le surpasser.

Outre tous ces moments de querelles, tu m'offres tellement de bonheur. Car sans toi, je n'aurais jamais pu sauter sur le son de mes chanteurs préféré en concert, je n'aurais jamais pu faire l'amour, je n'aurais jamais pu nager dans les mers d'Italie, ni même me détendre en lisant ou dessinant. Sans oublier que, sans toi, je ne pourrais pas écrire ces lignes. Je te remercie, parce que tu m'as montré l'importance d'avoir ce corps.

Je sais qu'un jour on se quittera toi et moi, que tu retourneras à la terre, et peut-être même que peu de personnes seront là pour t'admirer une dernière fois. Cependant, je veux que tu saches, que même si j'ai souvent été en désaccoeur avec toi, je t'aime.

C'est une promesse du petit doigt que je te fais, de ma main gauche à ma main droite, je vais prendre soin de toi maintenant, que ta peau soit lisse ou ridée, nous allons nous amuser et vivre toutes les belles choses que la vie a à nous offrir.

Le costume des sentimentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant