𝑝𝑎𝑔𝑒 𝑑𝑖𝑥

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23 mai 1519

Chère monstruosité,

Papa est parti.

Thataos m'a expliqué que les membres d'une famille étaient semblables aux planètes qui tournent autour du Soleil : parfois loin les uns des autres, mais éternellement liés par une force encore plus puissante que la gravitation, l'amour. Niais mais pas complètement tordu.

Ambrosius m'a jovialement promis de tout me raconter à leur retour avant de m'annoncer qu'une tour de livres en tout genre m'attendait sagement dans ma chambre et que j'aurais droit à plusieurs interrogations suivies de - cela va sans dire - félicitations. Les contacts humains et les effusions emplies de tendresse sont étrangers à son petit organisme, et c'est tant mieux étant donné qu'on se ressemble sur ce point. Horrible mais vrai.

Et Papa... Papa a passé une bonne demi-heure à hurler sur les chenilles (ou les enfants, gosses, gamins, asticots râleurs, chacun est libre d'avoir son propre dictionnaire) qui s'amusaient à courir près de la nef. Quand il s'est retourné vers moi, son visage a pris une pléthore de couleurs différentes, chacune représentative d'une émotion. J'avais envie de crier, de pleurer, de le blâmer, de lui dire qu'il était le meilleur... Au final, j'ai marmonné un "oh, au Diable ma fierté de fille rebelle" et me suis jetée sur lui au même instant où ses bras commençaient à s'écarter pour moi, en parfaite harmonie. Mon corps de petite tigresse a fondu sur le sien, tandis que son visage s'enfonçait dans mes ondulations brunes. Mon cœur battait fort, très fort. Il s'est mis à me murmurer des "je suis désolé", "tu es sublime", "ce ne sera pas long" et des "Papa t'adore" interminables. Je l'ai cru et je le crois toujours, même si ma rancœur et ma tristesse n'ont pas totalement disparu. Seulement, il s'agit de mon père et je ne pouvais pas le laisser partir comme ça. Parce que c'est lui et que la vie est loin d'être aussi belle et simple que les adultes aimeraient nous le faire croire. Je ne sais pas de quoi demain sera fait et même si je suis persuadée que mon Papa est immortel, je ne désire courir aucun risque lorsqu'il est question de notre lien.

Ils sont partis. Incertains, excités, heureux et malheureux. La nef s'est envolée telle une hirondelle apprenant à voler, aussi hésitante que déterminée.

Mes larmes se sont mises à couler d'elles-mêmes quelques minutes après leur départ. Ne voulant pas être vue - ma phobie ! -, je me suis réfugiée dans l'une de mes antres secrètes. Il faisait chaud, j'avais froid. Le silence régnait, je me sentais seule.

Soudain, un miracle s'est produit : Alejandro est apparu. Méfiante et surprise, je lui ai demandé ce qu'il trafiquait ici (il était censé être en voyage !). Il a ri avant de s'accroupir devant moi. Un sourire creusant ses fossettes hypnotisantes, il a répondu "si, mais il me tardait de revoir mon fils, c'est pourquoi j'ai décidé de revenir plus tôt". Je l'ai ensuite questionné sur la raison de sa présence ici et... devine ce qu'il a dit.

Allez, fais un effort, crétin infini.

Bon, laisse tomber, tu me fatigues. Il m'a avoué qu'il avait envie de rester avec les deux meilleurs.

J'ai mis quatre secondes à comprendre que les "meilleurs", c'était lui et moi. Et deuxième miracle : j'ai souri.

Du Alejandro tout craché : incroyablement beau, incroyablement charismatique et incroyablement drôle.

Suite à ce petit échange imprévu mais apaisant, j'ai dû retourner voir Angélique, qui a tenu à se faire aussi petite qu'un souriceau - je crois qu'elle a une profonde aversion pour les au revoir, ce que je peux comprendre. La pauvre femme était alanguie sur mon lit. Quand ses jolis diamants gris se sont posés sur mon visage plissé, elle s'est promptement redressée et m'a attirée contre elle dans un geste... protecteur ? Tendre ? Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c'est que j'ai ressenti cette chose... J'avais chaud, mais cette chaleur là était différente des autres. Ma tête nichée dans sa poitrine, je pouvais sentir son cœur galoper. C'était aussi incommodant que réconfortant. Embarrassant et agréable.

La scène qui a succédé est épique. Mon Ange Gardienne s'est mise à faire les cents pas. Les yeux grands ouverts, une main sur son buste, elle m'a confié qu'elle était sûre et certaine que son prêtre était en train de la tromper au moment où elle me parlait. Elle semblait tiraillée entre une panique aigüe et une colère grave.

Note donc ça dans un coin de ton esprit, vieux roux crasseux : la jalousie d'Angélique est maladive.

Non, mais parce que de là à s'imaginer que Thataos entretient une relation secrète avec Barbe Rousse...

Avec un soupir, j'ai tenté de la rassurer et il faut croire que je suis vraiment douée. Elle s'est un peu calmée suite à ma tirade improvisée. À sa place, je ne me serais pas crue, mais si elle me croit, alors tant mieux pour elle...

Je n'ai plus de place !

Au revoir, jeune journal, je ne pense pas revenir souiller tes pages vierges de si tôt.

I. 🌺

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 28, 2022 ⏰

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