𝑝𝑎𝑔𝑒 𝑡𝑟𝑜𝑖𝑠

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7 mai 1519

Trois jours.

Trois jours que mon père ignore royalement et aisément les deux guignols qui lui font office d'amis. Suite au petit incident couturier, le célèbre Docteur Fernando Laguerra est entré dans une colère noire en apprenant que c'est en écoutant Ambrosius et Athanaos que je me suis retrouvée avec une main invalide.

Bon, Papa dramatise toujours tout, surtout quand ce tout me touche de près ou de loin. Et ses deux amis en ont tellement bavé que j'ai senti cet affreux sentiment dévorant naître dans mon bas-ventre.

La culpabilité. Cette sensation dont m'avait un jour parlé señor-je-souris-tout-le-temps.

Ce dernier s'est d'ailleurs confondu en excuses, expliquant à Papa qu'il voulait simplement me faire découvrir de nouveaux passe-temps, tandis que tonton-le-nain a baissé la tête, navré et embêté. Têtu comme une mule, Papa n'a rien voulu entendre et les a mis à la porte avant de me proposer une petite leçon sur l'Histoire du fouet. C'était barbant, j'aurais préféré m'entraîner avec lui à faire bouger des objets relativement lourds à l'aide de son arme préférée, mais j'étais blessée.

Voilà pour la petite anecdote, petit journal grotesque.

Aujourd'hui, je suis de bonne humeur, chose assez rare chez moi, il faut le dire. Ce matin, je suis allée me faire percer les oreilles. Pour la deuxième fois en quatre ans. Je ne me rappelle pas véritablement de la première fois, mais je sais que je veux renouveler cette expérience géniale encore et encore.

Les boucles d'oreilles sont les seuls ornements que je supporte. Les seuls que j'aime et veux porter. Ces bijoux sont à la mode. J'ai vu défiler assez de femmes et de filles à la cour pour le comprendre, mais ça n'a aucune importance. Si je les aime, c'est parce que ces accessoires me vont bien, et que j'aurais bien moins l'air d'une fillette adorable avec de multiples piercings aux oreilles. C'est classe et élégant, ce qui accentue mon charme naturel.

Oh ! Et pourquoi pas quelques tatouages ?

Ce serait fantastique !

Je ne suis, en revanche, pas sûre que mon père soit du même avis que moi. Papa est tellement borné et vieux jeu, il ne change que très rarement d'avis, mais j'adore les missions impossibles et les défis. Pour l'heure, j'affectionne tout particulièrement les deux bijoux en argent qui embellissent mes oreilles, en attendant que leurs deux futurs amis les rejoignent.

J'espère seulement ne pas avoir à attendre quatre ans pour me refaire percer.

Je ne suis guère certaine d'y survivre.

Par un miracle des plus étonnants, Papa a accepté de rester chez Ambrosius pour discuter de peintures françaises, je crois, laissant Athanaos m'accompagner, cette fois. Il s'est calmé grâce à un élixir douteux que lui a fait boire l'alchimiste de la famille. Pour une fois, je ne lui en tiens pas rigueur. Cela arrange bien mes affaires et atténue la culpabilité que j'ai nourrie. Demain, je prendrai sur moi et passerai la journée avec Athanaos pour l'aider à ranger sa bibliothèque personnelle et lui servir de petit Cupidon.

Ainsi, je serais toute pardonnée et ma petite conscience cessera de me balancer des tomates.

Quant à Ambrosius, il a déjà eu sa petite venganza, et m'a promis des cours d'astrologie et de chimie personnalisés, ce qui n'est pas pour me déplaire.

Ils m'ont également présenté leurs excuses ; señor-je-souris-tout-le-temps m'a offert une robe rouge en soie et un assemblage de roses de différentes couleurs.

Tu t'en doutes, petit journal, c'est sans conteste le pire présent qu'on puisse me faire. J'ai parfois l'impression qu'il lui manque les neurones qui vont avec le cerveau et le crâne chevelu. Défaut de fabrication.

Mais je ne suis pas sans cœur, alors j'ai poliment accepté son cadeau avant de l'offrir à un passant alcoolisé en échange de son poignard. Une belle affaire !

Mais je m'éloigne du sujet principal. Pendant que la femme aux courbes immanquables perçait mes oreilles, Athanaos a tenu à prendre ma main, avec un sourire qui se voulait rassurant. J'ai demandé à ce qu'elle s'occupe rapidement de ma deuxième oreille.

Devant mon insensibilité à la douleur et mon enthousiasme, ils ont haussé les sourcils en clignant des yeux.

Quoi ? Est-ce qu'ils s'attendaient à ce que je pleure ou grimace en gesticulant comme une salamandre surexcitée ?

Je n'ai presque rien ressenti. J'étais bien trop pressée de savourer la vue du merveilleux résultat. C'était l'un de ses préceptes.

Toujours se concentrer sur l'arrivée et l'agréable. Le corps, l'esprit et le cœur n'en seront que plus résistants.

J'aime les aiguilles. Les lames. Tout ce qui pique, façonne, modifie et tranche avec précision.

Bon, mon Papa et Erica me réclament pour souper. Et il y a du fromage.

À bientôt, petit journal hideux.

I. 🌺

Petite note supplémentaire : Ambrosius est sans doute possédé et Athanaos consomme sûrement de la drogue.

LE JOURNAL DE LAGUERRAOnde as histórias ganham vida. Descobre agora