Chapitre 4

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Les mois défilèrent et, enfin, Thomas parvenait à enlacer la main de Newt du premier coup. Ça lui avait demandé des semaines et des semaines d'entraînement quotidien, mais maintenant qu'il y arrivait, ils ne rataient plus une occasion de le faire. Parfois, Newt posait timidement sa tête sur l'épaule de Thomas, laissant sa main grande ouverte pour que le fantôme puisse y entrelacer ses doigts.

Les tensions dans la famille de Newt s'étaient quelque peu calmées, bien qu'il arrivait toujours que la situation devienne, de temps en temps, hors-de-contrôle. C'était généralement dans ces moments-là que Thomas intervenait, et se faisait un malin plaisir à terrifier le père de Newt. C'était plus fort que lui – il ne supportait pas les insultes et les menaces qu'il jetait au garçon en continu. Thomas n'était pas du genre sanguin, il savait garder un calme olympien qu'il avait gagné et peaufiné au fil de la mort, mais lorsqu'il s'agissait de Newt... Il pouvait alors devenir le plus terrifiant des poltergeist qu'une maison pouvait bien abriter.

Newt le remerciait toujours après coup et plus d'une fois, ils avaient terminé à se câliner l'un et l'autre. Bien que ce fût, soyons francs, assez étrange de serrer dans ses bras quelqu'un que l'on ne peut pas voir, il s'y était fait assez rapidement. Thomas tenait à son rôle de grosse cuillère très à cœur, et c'était toujours réconfortant et rassurant de pouvoir se laisser aller dans les bras du défunt. Ses bras étaient froids, mais ils donnaient les câlins de la plus grande chaleur.

Pourtant un jour, Thomas dépassa les bornes. Le père de Newt était alors en train de lui hurler dessus comme jamais auparavant, il lui répétait encore et encore à quel point il détestait son fils, et de la déception qu'il représentait pour la famille entière.

« Je préférerais encore te savoir mort, que ça ! » avait-il crié, pointant Newt avec un visage emprunt de dégoût.

Thomas avait pu sentir la douleur de Newt. Comme si ses émotions étaient liées aux siennes, tout ce que l'un ressentait, l'autre le partageait. Cette fois-là, la douleur était insupportable. Comment Newt arrivait-il à rester là, debout, sans rien dire, sans rien montrer ? Thomas avait envie d'hurler tant la douleur était trop à supporter. Le genre qui vous vient des entrailles, assourdissante, et qui vous paralyse le cœur. C'était trop.

Un ultrason avait jailli du fantôme, faisant exploser sur son passage les cadres accrochés aux murs et claquant toutes les portes. Toute sa peine, toute sa rage, étaient directement dirigés vers le vieil homme. Il n'eut qu'à l'imaginer, le regardant droit dans les yeux, pour qu'il ne quitte la chambre de Newt. Il le fit reculer jusqu'à ce que son équilibre se joue en haut des escaliers – l'homme tomba à la renverse. Les yeux de Thomas étaient noirs de la haine insatiable qui le consumait.

Le cri de désespoir qui s'échappa de Newt fut comme un violent rappel à la réalité, le sortant de sa colère aveugle et seulement alors, il se rendit compte de son acte. Venait-il... de tuer quelqu'un ? La panique le submergea en même temps qu'elle submergeait le garçon qu'il aimait. Au-delà de ça, il ressentit surtout la haine que Newt avait pour lui à cet instant et c'était là bien plus de douleur qu'il ne l'admettrait jamais. Alors, il disparut. Si quelqu'un venait à demander, il aurait été incapable de répondre comment il y était parvenu, il l'avait simplement fait. C'était comme s'effacer du monde réel. Tout ce qu'il savait, c'est qu'à son retour, il n'avait aucuns souvenirs de ce qui avait bien pu se passer après son départ. Il ressentait toujours l'amertume des sentiments de Newt. Combien de temps était-il parti ? Il tenta tristement de prendre sa main, faisant sursauter l'humain visiblement surpris, avant que celui-ci ne se recule précipitamment.

« Tu fais tomber mon père des escaliers, tu te barres sans un mot et tu penses vraiment que je vais te tenir la main quand tu reviens comme une fleur ? Après deux mois de silence radio? Tu sais quoi, Thomas? Je voulais te parler de ce qui s'était passé, je voulais pas qu'on reste comme ça mais t'es- t'es parti ! J'ai cru que tu faisais exprès de me foutre des vents, au départ ! Pis après j'ai compris. T'étais plus là. T'en as eu marre de ton petit jeu idiot avec l'humain. Bah t'sais quoi, ça doit être super marrant d'être un fantôme ! Est-ce que t'as seulement idée d'à quel point c'était dur de me retrouver tout seul ? T'attends pas à ce que je te tombe dans les bras juste parce que t'es de retour. »

Thomas ne sut pas quoi répondre. Il était en colère, mais il était aussi désolé. Il savait qu'il avait blessé l'unique personne qu'il aurait aimé ne jamais peiner mais... Il avait ce sentiment d'injustice au fond de lui. Comment Newt pouvait-il oser dire qu'il ne savait pas ce que c'était, que d'être seul ? Thomas avait vécu ainsi pendant des décennies ! Il avait du faire le deuil de sa vie passée, et accepter qu'il ne reverrait jamais ceux qu'il avait autrefois aimé. Il avait du apprendre à vivre seul, invisible au monde entier. Toute son après vie n'avait été qu'une grande solitude – puis il avait rencontré Newt. Il mourrait d'envie de lui dire tout ça, et il essaya mais sa voix, comme d'habitude, tombait dans l'oreille d'un sourd.

Ou c'est ce qu'il crût. Les yeux de Newt s'écarquillèrent soudainement et il se mit à regarder tout autour de lui, en état de choc.

« Oh putain. Thomas ? »

Il semblait incertain de ce qu'il venait d'entendre.

« Newt ? Tu m'entends ? »

« Oh mon dieu, oh merde, oh – C'est... C'est trop bizarre ! »

« Merci, ça fait toujours plaisir. » Thomas ironisa.

« Non, non, je veux dire... Je t'entends ! J'entends ta voix ! Dans ma tête ?! Ca y est, j'ai pété les plombs, c'est ça hein ? J'suis complètement fou ? »

« Qu'est-ce que j'en sais ? »

« Merci de ton aide, Thomas. »

Thomas eut un léger rire.

« Je t'ai fait un clin d'œil, mais bien sûr tu l'as pas vu. » répondit-il.

C'eut au moins le don de faire rire Newt, faisant disparaitre sa colère plus rapidement que l'humain aurait aimé. Après tout, son père allait bien bien qu'il n'ait pas gardé de souvenirs de l'incident (c'était sûrement mieux ainsi, d'ailleurs). Il pouvait plus ou moins comprendre Thomas. Il savait, au fond de lui, que le fantôme n'avait pas fait ça dans le but de le blesser – c'avait été une tentative malheureuse de l'aider. Mais il ne pouvait pas dire ça à Thomas, ça serait trop facile.

« On laisse du temps au temps, ça te va ? » il lui demanda, tendant sa main dans l'air pour que Thomas puisse la saisir. Il ne parvint pas à retenir un sourire lorsqu'il sentit le froid envelopper ses doigts. « Je suis désolé pour ce que je t'ai dit. »

« Moi aussi Newt. Du temps au temps. »

The ghost of usOù les histoires vivent. Découvrez maintenant