Chapitre 1

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Océane

        Le poing posé sous le menton, je lutte contre la fatigue et tente de suivre le fil de la conversation même si le sujet ne m'intéresse pas plus que ça. Je retiens de justesse un bâillement. La voix veloutée d'Eden commence sérieusement à m'agacer. La belle brune parle sans discontinuer, les mots sortant de sa bouche par dizaine et ne semblent pas s'épuiser. Par chance, Xavier est là pour sauver la mise avec son calme olympien. Je glisse un regard dans sa direction et mes lèvres frémissent d'un sourire quand nos prunelles se heurtent.

— Tu sembles épuisée, remarque-t-il après m'avoir rendu mon sourire.

— Ça va, le rassuré-je en portant mon verre d'eau à mes lèvres.

Nous échangeons un autre regard, et je me reconcentre sur Eden. Tandis qu'elle raconte une nouvelle histoire qui lui ai arrivé récemment, je me permets de l'observer. Il y a quelque chose chez elle qui m'intrigue, mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Ça m'a frappée dès que j'ai posé les yeux sur elle, et je suis incapable de me débarrasser de cette impression de déjà-vu. Tout chez elle m'est familier, mais je suis certaine de ne l'avoir jamais rencontrée avant aujourd'hui. Il n'empêche qu'il y a quelque chose chez elle, dans son regard, cette petite lueur malicieuse brillant dans le fond de ses prunelles, qui me rappelle trop de mauvais souvenirs.

Les sourcils légèrement froncés, je m'enfonce dans mon siège et croise les bras sur ma poitrine. Eden tente une plaisanterie de piètre qualité, mais je me force à sourire tandis que Xavier éclate de rire avant d'enchaîner sur un autre sujet. Pas une seule fois, il ne m'inclut à la conversation. Pas une seule fois, il ne m'interpelle, s'intéresse à moi, me demande mon avis. Face à ce soudain désintérêt, mon cœur se serre douloureusement dans ma poitrine et je baisse la tête, mal à l'aise. Je fixe le bout de mes baskets en me mordillant l'intérieur de la joue tandis que les rires fusent de tous les côtés. Je n'ai rien à faire ici. Avec eux, à cette table, dans ce restaurant. C'est leur soirée de retrouvailles, pas la mienne.

Pour dire vrai, j'ignore pourquoi je suis encore là. Mon pied martèle nerveusement le sol et mon sang pulse fort dans mes veines. Quand le serveur revient avec nos plats, je ne le remercie même pas. Mes lèvres semblent cousues ensemble, incapables de se délier l'un de l'autre pour me laisser former les mots qui se bousculent par centaine dans ma tête. Mon regard se braque sur mon pain à la viande et une boule de nervosité se forme dans le creux de mon ventre et dans le fond de ma gorge. Xavier et Eden continuent de discuter comme s'ils étaient seuls au monde, deux âmes conçues dans le même moule qui se retrouvaient enfin, et un perfide sentiment d'angoisse vient m'étreindre de ses bras glacés à mesure que je prends conscience de l'ampleur de ma solitude. Je tente de calmer mon début d'agitation en découpant mon plat pour me donner une certaine constance, mais rien n'y fait : je tremble de partout.

Ma solitude mêlée aux souvenirs de ce matin avec ma mère me revient en tête. Bientôt, respirer devient compliqué. L'angoisse monte en flèche en moi et, sans que mon cerveau l'ait ordonné, mes ustensiles tombent avec fracas dans mon assiette. Xavier et Eden s'interrompent pour me regarder. Je secoue la tête en reculant ma chaise pour me lever. Ma vision se brouille et j'attrape avec maladresse mon sac à main. Je chancèle un peu tant mes mouvements sont précipités, mais recouvre assez vite mon équilibre. Sans demander mon reste, je quitte le restaurant. De l'air. J'ai besoin d'air.

Les larmes me brûlent les yeux, mais ne coulent pas pour autant. La boule dans ma gorge semble tripler de volume quand j'ouvre la porte du restaurant. Dehors, je prends une profonde inspiration pour me calmer. Je parcours quelques mètres avant de me laisser tomber sur le bord du trottoir, la tête enfouie entre les mains.

Sacrifices Where stories live. Discover now