Chapitre 14 - Le réveil

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Ce chapitre est très long. Alors, installez vous confortablement ;) Bonne lecture. 

Pelage de Brume ouvrit les yeux. Recroquevillée sur elle-même, minuscule, il parvenait jusqu'à ses oreilles comme des raisonnements caverneux et distendus. Il s'agissait de voix. Deux voix s'adonnant à une conversation dont les paroles péniblement murmurées faisaient battre son cœur sans qu'elle n'en saisisse pourtant le sens.

Ne semblant pas avoir remarqué sa présence, les deux adultes la surplombaient de leurs corps immenses, dressés juste au-dessus d'elle. Son père, dont le pelage blanc et brun ondulait doucement, chuchotait des mots indistincts de son timbre profond et teinté de dépit, tandis que son visage amer se ridait du grand désabusement qui semblait l'habiter. Et sa mère, elle, dont la silhouette vaporeuse était nimbée d'un épais brouillard gris au travers duquel seules ses luisantes prunelles ambrées étaient clairement visibles, l'écoutait en approuvant tristement ses dires. Pelage de Brume, à leurs pieds, retenait son souffle, de peur que ses parents ne décèlent son existence. Mais, c'est quand enfin leurs regards dépités et amèrement dégoûtés se posèrent sur elle, qu'elle comprit la terrible et redoutée vérité : que le sujet de leur déplaisante conversation n'était autre qu'elle.

Elle voulut leur parler, leur miauler de toutes ses forces qu'elle était désolée. Si désolée de les décevoir ainsi. Mais rien ne sortit de sa gueule inanimée, comme si elle en était tout simplement dépourvue. Devant ce spectacle qu'elle leur offrait, ses parents échangèrent un regard équivoque de pathétisme, avant de reporter sur elle leurs yeux froids où perçait comme un ultime éclat de pitié condescendante. Puis, sa mère se pencha sur elle pour la saisir par la peau du cou, malgré ses implorations silencieuses et désespérées. Et, sous le regard impitoyablement déçu de son père, sans le moindre regret, d'un mouvement de tête libérateur, elle la balança dans les eaux battantes et glacées de la rivière, où elle s'enfonça telle une pierre dont on se déleste du poids.

Elle se débattit avec la force du désespoir, violentée par les vagues et le torrent dont l'eau glaciale lui entra bientôt dans les yeux, dans la gueule, dans les poumons, en brûlant. Ballottée en tous sens, elle se noyait, se noyait et se re-noyait dans un calvaire sans fin. Elle mourrait et mourrait encore, comme si elle n'avait jamais été en vie.

Pelage de Brume s'éveilla en sursaut. Ses pattes avants plantées dans la mousse moite et tiède du couchage qu'elle avait, semblait-il, griffé durant son cauchemar. Il lui fallut quelques secondes pour calmer l'affolement de son cœur douloureux. Et, par un petit rituel que deux années de régulières terreurs nocturnes lui avaient aguerries, elle inspira et expira longuement, jusqu'à réussir à s'apaiser. Sentant le monde tanguer autour d'elle, elle redressa lentement son corps lourd et mal assuré. Elle dressa la tête et plissa ses yeux emplis de grisailles bourdonnantes.

La tanière était vide. Les raies de lumière froide qui y pénétraient lui indiquèrent qu'à l'extérieur il faisait jour. Elle fit remuer sa truffe. Dans l'air confiné de la caverne flottait une désagréable odeur acide et pointue qui l'a fit éternuer plusieurs fois. De l'herbe-aux-abeilles. A son grand désarroi, elle constata rapidement que ce révulsant fumet venait de sa propre fourrure.

C'était probablement avec cette plante désagréablement odorante que la Guérisseuse avait dû lui frictionner le poil à son retour au camp. Sans doute dans le but d'en camoufler les informations olfactives d'alerte et de stress qu'elle avait charrié sur son poil, et qui auraient strié l'atmosphère de la combe de traînées paniquées.

C'est en s'inspectant de la sorte que Pelage de Brume réalisa alors l'horrible senteur qui se dégageait d'elle. Le fort parfum de l'herbe-aux-abeilles se mélangeant à une senteur rance et piquante de sueur, d'angoisse froide et de poussière. Quant à son pelage, parsemé de terre séchée et entremêlé de nœuds, il lui faudrait une longue séance de toilettage pour lui redonner un semblant de dignité.

Le Temps Des Brumes - [en cours] - {Fanfiction LGDC}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant