Chapitre 5

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None

— Ah tiens, None ! T'arrives à point nommé, c'est la merde ici !

Luke se marre, à moitié assis sur une table, une seule fesse posée sur le plateau, les bras croisés et le regard amusé posé sur le remue-ménage ambiant. Dans la grande salle de réunion, qui sert aussi de réfectoire aux plus jeunes, c'est l'effervescence.

Mon regard passe de l'un des gars aux autres. Tous affichent un air grave, et les coups d'œil qui s'échangent, lourds et sérieux, laissent penser qu'il s'agit d'une affaire critique. D'un coup, le doute s'installe dans mon esprit : Grégor aurait-il déjà été retrouvé ?

Impossible. Il est à peine seize heures, et je doute qu'il y ait beaucoup de promeneurs dans les forêts à l'ouest de Boston, surtout avec le temps exécrable que nous nous coltinons en ce moment. Il pleut, quand il ne neige pas, et les températures basses n'incitent pas aux balades dans les bois.

— C'est quoi le problème ? je demande, mes yeux ne sachant où se poser.

Il délaisse un instant les va-et-vient permanents, pour dévier ses iris bleus sur moi.

— Tu te rappelles de la petite nana qui devait être éliminée hier ? Celle que tu as ratée la veille ? Oui, suis-je bête, forcément que tu t'en souviens...

Il se marre, pendant que je reste de marbre face à son hilarité.

— Quoi ? s'offusque-t-il faussement. Pour une fois que tu loupes ton coup, j'ai quand même le droit d'en profiter un peu non ?

— Et ben quoi ? je fais mine de m'intéresser, pour l'encourager à poursuivre.

Curieusement, le fait que je sois la risée de toute l'Organisation m'importe peu, à ce moment-là. Je ne cherche pas à biaiser, pour changer de sujet, mais à comprendre les raisons de tout ce remue-ménage.

— Ben figure-toi qu'elle est toujours en vie. Je te dis même pas l'humeur de chien de Jéricho. On passe pour des blaireaux depuis deux jours, à être incapables de réaliser un contrat ridicule sur une petite meuf toute simple. Et non seulement la fille est toujours vivante, mais Grégor est introuvable depuis hier soir.

— Introuvable ? je reprends, faussement intéressé. Quel rapport ?

— Ouais, il a pas donné signe de vie depuis, et n'a pas confirmé la bonne réalisation du contrat. Ah oui, je t'avais pas précisé que Jéricho lui avait filé le truc à faire, après qu'il t'a retiré le dossier. Ça sent la merde, toute cette histoire.

— C'est-à-dire ? je tente.

— Je sais pas. J'ai l'impression que le commanditaire est un sacré bonnet. Et que Jéricho se retrouve un peu dans la mouise après deux tentatives avortées. Y a un truc qui m'échappe, et j'arrive pas à mettre le doigt dessus.

Je le vois froncer les sourcils puis plisser les yeux, alors qu'il se concentre sur le principal intéressé, Jéricho. C'est un homme d'une cinquantaine d'années, brun aux tempes grisées, et aux yeux porcins. Je ne l'ai jamais aimé, mais en même temps, il n'a jamais rien fait pour. Enfin si, il m'a sorti de la misère d'un orphelinat, pour m'offrir un toit, et de quoi manger. Ce mec est à la tête de l'Organisation, depuis que j'y suis entré, je ne sais même pas à quel âge. Cinq ans, ou dans ces eaux-là. Un groupe secret monté de toutes pièces par cet ancien gangster, consistant à louer les services de mercenaires pour toutes les basses besognes de la ville de Boston. Un meurtre ? Un tabassage en règle ? Une torture ? Jéricho dispose de dix hommes surentrainés, dont moi, pour satisfaire toutes les demandes des gens ayant besoin de ce genre de services illégaux.

J'ai été élevé ici, comme Luke et chacun des mecs dans cette pièce. Nous étions dix, dix gosses orphelins que Jéricho a sorti de la misère pour nous donner une chance de faire quelque chose de nos vies, au lieu de crever de faim dans la rue. Enfin, nous ne sommes plus que neuf, mais ça, ils ne sont pas censés le savoir pour l'instant.

Killing me softly [ sous contrat Editions Addictives ]Where stories live. Discover now