Chapitre 1

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Me raser fait partie des rituels du matin. Immuable. Je ne pourrais pas débuter ma journée sans ça. Impossible. En tout cas, je ne l'ai jamais fait, et ça me convient très bien. Changer mes habitudes, je ne sais pas faire. J'ai besoin que tout soit à sa place, et que rien ne déroge jamais à mes rites. Manies ? Rituels ? Doux euphémismes. Allez, sortons le mot : mes T.O.C.

J'avoue, j'en suis plein, depuis tout petit. Et je crois que ça ne s'arrange pas, avec le temps. Trente-deux ans que je vis avec, et que je finis par en rajouter un peu plus à chaque année qui passe.

La lame de mon rasoir dévale ma joue droite en suivant la ligne franche de ma mâchoire carrée, où un chaume dru et brun recouvre déjà ma peau. Il est grand temps que je m'en débarrasse. Pas que ça me gêne physiquement. Non, c'est dans ma tête que ça me perturbe. Puis, il passe sur la gauche et réitère le même processus. Toujours dans cet ordre.

J'essuie ma peau redevenue glabre de ma serviette éponge, et passe une crème hydratante neutre pour apaiser le feu du rasoir. Jamais de parfum, jamais d'after-shave. Se noyer dans la masse, ne laisser aucun souvenir olfactif : ça fait partie du job.

J'enfile un t-shirt à manches longues, noir, puis un jean clair qui commence à trouer un peu partout, mais que j'apprécie bien trop pour songer à le remplacer. Même pour les fringues, soyons honnête, le changement est perturbant, pour moi. Je me force à en acheter régulièrement, pour ne pas finir englué dans la même tenue tous les jours. Néanmoins, les teintes, elles, ne varient pas : du noir, du gris, du marine. Des couleurs foncées, qui m'aident à me fondre dans le paysage, et qui me font tenter de passer pour le mec lambda, le voisin discret qu'on voit à peine et dont on ne se rappelle même pas du visage.

Je me prépare un café long, puis cale mes reins contre le plan de travail, la télécommande en main. C'est l'étape indispensable avant de commencer véritablement ma journée. J'avale une première gorgée, alors que je garde les yeux rivés sur les informations matinales d'une chaine locale. Comme je m'en doutais, la une appartient à l'assassinat d'un mafieux la veille dans la cathédrale de Boston. Règlement de compte, qu'ils disent, en abordant les raisons probables d'un tel massacre. Personnellement, je tique un peu sur le mot : j'ai fait ça proprement. Pas d'effusion de sang monstrueuse, pas de dégâts, collatéraux, humains ou matériels. Une balle en pleine tête, simple et efficace. Je fronce les sourcils, un peu vexé.

L'efficacité, c'est ma marque de fabrique. Alors que nombre de mes collègues s'acharnent souvent sur leur proie, parfois avec un plaisir malsain, je vais toujours à l'essentiel. La violence ou la torture, très peu pour moi : je ne joue pas avec mes victimes, je valide le contrat, et je pars. Dans l'Organisation, celle pour laquelle je travaille, on m'appelle None, mais aussi l'Exécuteur. Je repère, je tue et je passe à la suite.

C'est d'ailleurs un message de mon employeur qui me sort de ma contemplation de l'écran de télé, lorsque mon téléphone se met à biper. Comment je le sais ? Personne d'autre ne m'appelle. Pas de famille, pas d'amis. Juste l'Organisation. Quelques collègues, à la rigueur, ceux de ma promo, mais ils sont rares. Les amitiés n'étaient pas encouragées, et comme pour le reste, ils ont tué les tentatives dans l'œuf. Il n'y a que Luke, à la rigueur, mais je sais qu'il est en mission spéciale aujourd'hui, donc injoignable.

[ Contrat du jour sur boite mail. ]

Simple, concis. Comme à chaque fois. Un coup d'œil à ma montre, par souci du détail : il est 7h30, pile à l'heure. Ils savent que la ponctualité est un autre de mes tics, et s'arrangent toujours pour être dans les temps. Me perturber, c'est bien la dernière chose qu'ils veulent, je crois, pour me garder en forme.

J'allume mon ordinateur portable, et trempe mes lèvres une dernière fois dans mon café, que je termine d'une seule goulée, avant de relancer le deuxième. J'attrape une barre de céréales dans le placard, et je m'installe à la table de la cuisine, près de la fenêtre. Je mâche en silence, et plisse les yeux en découvrant mon travail du jour.

Killing me softly [ sous contrat Editions Addictives ]Where stories live. Discover now