Chapitre 21: jusqu'au bout

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C'est une bataille horrible qui se livra ce jour-là sous les yeux de Thibault. Dominés par une faim insatiable, les monstres bavaient en se précipitant sur les lignes de fantassins qu'alignait l'armée de Blanche-Elliarum comme si il s'agissait d'un festin. C'était en quelque sorte le cas.

La marée de créature submergea la première ligne de chevaliers. Difficile de distinguer si ceux-ci étaient tous morts, ou simplement cachés par la masse de monstres qui débordait sur les rangs de l'armée. Une première salve des artilleurs avaient pourtant freiné l'élan des bêtes, mais les armes à feu, bien qu'inégalées en terme de force de frappe, nécessitaient un temps de rechargement encore trop long.

Lorsque la vague atteint la ligne de gardes, les cris commencèrent, et quelques uns commencèrent à fuir. Cependant, un jeune capitaine du nom de Horius, bien connu pour son caractère insupportable, éleva la voix au dessus des bruits du champ de bataille. 

Le temps sembla comme suspendu à la gorge de cet homme, qui, par quelques mots, enveloppa l'armée entière d'une armure de détermination.

" C'est un fait, nous mourrons tous. On ne choisit pas de mourir, mais vous avez l'opportunité de choisir. Fuyez, et vous choisirez quand vous mourrez ! Battez-vous et vous choisirez pourquoi vous mourrez ! Pour moi le choix est fait ! "

Ces mots n'étaient guère exceptionnels, mais ils étaient comme enveloppés d'un sortilège qui les fit raisonner, et chacun put sentir son cœur se gonfler d'un courage nouveau. Ces mots étaient simples, mais justes. Et cette justesse avait raisonné dans l'instrument gigantesque qu'était ce rassemblement d'hommes et de femmes qui avaient choisi.

Les fuyards se ressaisirent et dans un élan à contretemps, l'armée chargea à son tour sur la masse grouillante de monstruosités. Un élan brusque, violent et brutal. Des corps s'écrasèrent sous la force de l'impact, mais la mort n'était plus rien. Seul comptait la victoire. Pour sur Horius avait un don que la gravité de la situation avait fait s'éveiller, car la peur et les regrets s'en étaient allés. L'armée était devenue un seul et même organisme dont le but était clairement défini, et restait clair malgré les pertes.

En temps habituel, les batailles qu'avait connu le vieux continent s'étendaient sur plusieurs heures, mais hommes et bêtes ne cherchaient plus qu'à vaincre, si bien que tout se passa très vite. Nul héros, nul fuyard. Que des corps qui frappaient, tranchaient, tiraient ou s'activaient à recharger. Tout était devenu mécanique. Hélas, le rang des chevaliers finit bel et bien par tomber. Seuls quelques uns d'entre eux se battaient encore, encerclés de monstres, enchaînant les prouesses de parades et d'esquive qui leur permettait de survivre de manière spectaculaire à des attaques venant de toutes parts.

Le front composait de gardes était lui-même en pleine confrontation avec le gros de la horde monstrueuse, tandis que la milice affrontait vaillamment les prédateurs qui tentaient de contourner le mur de lances de la garde. Pour les bêtes comme pour les hommes, peu importait la mort, pourvu qu'elle participe à la victoire.

De son côté, Thibault était lui aussi soumis à cet espèce d'état de choc qui le privait de réflexion. Il n'était plus qu'un combattant brandissant une lance en train de repousser des adversaires monstrueux qui tentaient de le dévorer.

Ils étaient à quinze en train de bloquer une bête lorsque la corne sonna. La formation de gardes venait de rompre, et la bataille tournait clairement en défaveur de la cité blanche.

Les chevaliers restés alors à proximité des chariots ouvrirent ceux-ci pour laisser sortir quelque chose qui glaça le sang de l'armée entière.

Thibault les vit se dresser. Ils étaient d'apparence bâtarde. Entre la noblesse et l'horreur. Entre l'humain... et le monstre.

Dressés sur ce qui s'apparentait plus à des pattes que des jambes, harnachés de mécanique hybridées à la chair, ils étaient pour la plupart un peu plus grand que des humains. En les regardant, Thibault était déchiré entre l'admiration du travail accompli, et de l'horreur créé par l'homme pour affronter les horreurs de la nature.

Ils étaient chair et acier, machine et corps, humain et monstre. Ils étaient des chimères. Certains portaient des cuirasses qui ne faisaient qu'un avec leur corps, d'autres des membres dotés d'extensions meurtrières telles que des masses ou des griffes aiguisées. Certains semblaient dotés d'une agilité redoutable quand d'autres semblaient plus fort et plus lourd que dix hommes réunis. Malgré leur apparence monstrueuse, ils avaient une tête bien humaine, dans un casque d'acier. Ils parlaient peu. Comme honteux de ce qu'ils étaient devenus. Mais face à cette honte, une haine grandissante les gagnaient à la vue des bêtes.

Une corne bien plus haute sonna. Comme la douleur d'une épine transperçant un nerf. Vive, aiguë, claire, et pourtant presque insupportable. Les cris des chimères retentirent.

 Un mouvement de recul imperceptible parcouru les hordes de monstres. Pour la première fois, un doute les parcourais. Une infime parcelle de leur cerveau, un vestige des temps anciens. Une sensation nouvelle et pourtant enfouie dans leur passé lointain... La peur. La peur avait effleuré l'esprit des monstres. Le doute. Suis-je véritablement le prédateur... ou bien la proie ? Cette espèce qui n'avais jamais eu à craindre pour sa survie, toujours en posture d'attaque, et qui n'avais jamais connu la fuite que comme une prolongation utilisé par sa proie vainement, mais qui rendait la chasse plus intéressante.

Les hommes eux-même semblèrent effrayés par leur propre création. Les rangs s'ouvrant devant la charge des chimères, tout semblait fuir ces manifestations contre-nature de la folie des hommes.

Cytad'ailesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant