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Au bout de soixante-six minutes de réflexion, ma feuille de brouillon ne comporte que cent quarante-quatre mots. Soit sept cent huit lettres.

À cela s'ajoute cinq familles d'insectes, dont deux de coccinelles, une de chenilles, une d'abeilles et une dernière de papillons, chacune composée d'un papa, d'une maman, d'un fils, d'une fille. Chaque chenille a dix-sept rayures, à l'exception du fils qui n'en a que quinze. Les abeilles ont en toutes trois. Ce qui me donne un total de quatre-vingt-quinze rayures.
Les coccinelles ont toutes six gros pois noirs sur le dos, sauf les enfants qui n'en ont que quatre. Les papillons ont en trois sur les parties supérieures de leurs ailes, et deux sur les parties inférieures. Soit un total de soixante pois noirs.

Et pour la cinquième fois en soixante-sept minutes, je relis le sujet de ma nouvelle dissertation, récupérée lors du dernier TD de la journée : « Faut-il supprimer le Premier ministre ? »

Voilà une question dont je ne trouverais sans doute pas la réponse attendue un lundi soir, après neuf heures de cours.

La bibliothèque universitaire est désormais presque vide. Alexandra s'est endormie depuis dix bonnes minutes sur son code civil, la tête enfouie entre ses bras.

Malgré toute notre bonne volonté et notre motivation, notre session de travail se sera montrée peu fructueuse.

Je commence déjà à ranger mes stylos, quand la bibliothécaire annonce la fermeture imminente de notre sanctuaire dans son micro.

Mes livres et cahiers fourrés dans mon sac à dos, je me penche vers ma camarade et lui souffle dans l'oreille pour la réveiller.

Et comme d'habitude, je regrette mon geste après avoir agi.

Alex sursaute et provoque une violente rencontre entre son épaule et mon nez. Par réflexe, je plaque ma main contre celui-ci, en étouffant un râle de douleur.

Mon amie ricane et rajuste ses lunettes à grosses montures violettes.

— Bien fait pour toi, Pauline. Ça t'apprendra à faire des blagues débiles, me sermonne-t-elle.

Sans plus tarder, nous quittons l'endroit, toutes deux pressées de rentrer chez nous pour retrouver notre canapé et engloutir un plat de pâtes au beurre devant la télé.

À peine avons-nous mis un pied à l'extérieur qu'un vent glacial, couplé à la fraicheur de la nuit, me fouette le visage.

Une fois l'entrée de l'université passée, cette grande asperge d'Alex se penche pour me saluer d'une bise.

— Bon, on n'a pas trop travaillé ce soir, constate-t-elle, mais on se rattrapera demain.

— On dit ça tous les jours...

— Mais aujourd'hui, c'est normal, c'est lundi, on est fatiguées.

— On revient de week-end, ça devrait être le contraire, je crois.

— Pas quand on vient de passer deux jours à rédiger des commentaires d'arrêts de trois kilomètres de long.

J'approuve d'un hochement de tête.

Nous sommes que début décembre, mais nous croulons déjà sous le travail.

Entre les devoirs à rendre avant les vacances et les révisions qui suivront juste derrière, je commence à douter de ma capacité à suivre le rythme et à réussir cette première année.

Heureusement, les rattrapages de fin d'année me permettent de dédramatiser un éventuel échec. Un peu.

Après quelques plaintes supplémentaires, je quitte ma camarade et remonte la rue du campus. Lorsque je rejoins le boulevard que j'emprunte habituellement pour rentrer, je reçois une, puis deux gouttes d'eau sur le visage.

Douce aigreurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant