Chapitre 2

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  Début du décompte annonce une voix mécanique. Dans la classe, le silence ne tarde pas à s'installer. Il est pesant. La chaleur est étouffante. J'entends vaguement la suite du décompte. Je me concentre sur l'écran. La foule à l'air d'avoir aussi chaud que nous. Plusieurs personnes s'éventent avec leurs mains ou avec un vieux journal. Pourtant, personne ne fait de scandale. Personne ne se plaint. Tous ont les yeux rivés sur la bouche d'égout.

Le nombre quarante-sept s'affiche sur l'écran. La professeur a l'air très angoissé, elle croise nerveusement ses doigts. D'après les rumeurs qui circulent, elle aurait perdu son fils aux mains des créatures. Mais les rumeurs sont les rumeurs et je ne sais pas si je dois les croire. La tension monte peu à peu des deux côtés, de celui derrière la télévision et de celui derrière les canons.

Il reste maintenant quarante-quatre secondes. Sur l'écran, trois des cinquante-six dirigeant boivent en même temps leur verre d'eau. Leur front luit de sueur et l'un des trois tremble légèrement. La foule est toute rouge et je n'ose imaginer l'odeur qu'elle doit émaner. Sans doute, un affreux mélange de sueur et de nourriture. Avec des relents d'anxiété et bien sûr de peur. Car, qui n'aurait pas peur ?

J'entends vaguement un petit trente-cinq. Un élève sans doute au bord de la crise tant l'attente est longue, fait tomber son stylo par terre. Il nous sort momentanément et avec violence de la transe dans laquelle nous étions plongés. Nous le regardons tous avec colère et il bafouille de plates excuses tout en ramassant son bien. Je vois une goutte de sueur sur mon voisin de devant, un gros garçon nul en sport avec des parents divorcés.

La voix mécanique annonce vingt-neuf secondes. Sur l'écran, une femme s'évanouit. Nous voyons des gens s'écarter rapidement. Et nous entendons seulement le décompte imperturbable.

Il en reste maintenant vingt-sept. La dame est évacuée et les gens retrouvent rapidement leur calme. Un autre dirigeant boit son verre d'eau cul sec et il manque de peu de s'étouffer. J'ai vu son visage devenir rouge et il a toussé à sans arracher les poumons.

Les nombres continuent de défiler, inlassablement, d'une voix sans sentiments, ils annoncent vingt secondes. Soudain, le canon bouge. La foule recule à l'unisson. Ils semblent tous poussés par une main géante et invisible.

La voix mécanique annonce dix-sept secondes. Une main blanche presque transparente sort des égouts et se tourne vers la masse de gens terrifiés. Un président tombe à terre.

Il n'en reste que treize. Un coup de feu a dû retentir, car les personnes de l'autre côté de l'écran se bouchent les oreilles en gesticulant. La main disparaît brusquement. La classe tout comme le public derrière les canons est choquée.

La voix annonce un dix que je n'entends presque pas. Le président qui était à terre se relève et, contre toute attente, il applaudit.

Je crois qu'il y a encore sept secondes. Désemparée, la foule ne sait pas comment réagir. Mais elle applaudit finalement avec le reste des présidents. La caméra tremble faiblement.

Plus que deux.

La voix annonce une seconde. Un écran de fumé apparaît et fait disparaître tout sur l'écran. Notre salle est au premier étage, mais nous ressentons en quelques secondes à peine, un léger tremblement dans les fondations. Le vase sur le bureau de la professeure s'écrase avec un bruit sourd par terre et ma bouteille va rouler sur le sol. La peur m'envahir peu à peu, car une minute est passée et la télévision continue de ne rien montrer à part de la fumée grasse et noire. Il y a beaucoup de fumée. Mais je ne sais pas s'il y en a trop.

Ma tête est remplie de pensées affreuses. J'imagine la mort horrible de toutes ces personnes. Mes mains commencent à trembler. Je crois que quelque chose s'est mal passé. Je ne sais pas. Personnes n'aiment ne rien savoir. Mon pied tape nerveusement le sol et ma voisine, quant à elle, pianote du bout des ongles sur sa table. La salle s'emplit doucement d'une sorte de musique tant les gens ont des tics. La chaleur est oppressante. Puis, brusquement, les premières têtes réapparaissent. Et elles sourissent à la caméra.  

GazésWhere stories live. Discover now