Vous payez ensemble ou séparément ?

Le principe de précaution

As tu déjà réfléchi, lecteur,  à sauter à l'élastique ?

Sur le rebord du pont, regarder les autres sauter, se dire :

Je saute ou je saute pas ?

 Avoir peur, car le danger est là, mais être tenté, car l'envie d'essayer est forte, alimentée par l'attrait de l'adrénaline. Et puis finalement : 

Boarf, ça n'a pas l'air si cool que ça, et puis la sécurité de ce genre de truc est moyenne. Il paraît que ça donne le mal de mer. Tant pis, c'est pas pour moi.

Tu te résignes à repousser l'expérience, de crainte qu'elle tourne mal. Un jour, peut-être, tu sauteras. Ou peut-être pas. 

Cette expérience de pensée, nous la vivons au quotidien. La peur que ça tourne mal. 

Oh, pas mal dans les proportions dramatiques de la tuerie d'Orlando... Juste mal dans le sens vivre une mauvaise expérience. C'est insidieux comme peur. Une vague de fond sans cesse à ratisser l'arrière du crâne.

Il se passe quoi si, si un jour j'ai besoin de voir un psy, il s'avère être homophobe ?
Il se passe quoi si on se tient la main dans la rue et qu'on croise la mauvaise personne ?
Il se passe quoi si le juge chargé d'évaluer notre dossier d'adoption est pro "manif' pour tous" ?

C'est paralysant. 

Jusqu'à aujourd'hui, jusqu'à cette prise de parole publique, jamais je n'avais tant exposé notre couple. Nous sommes discrètes, dès que nous ne savons pas qui se trouve autour de nous, dès que nous ne sommes pas en zone de confiance. 

À vrai dire, ça a même sensiblement retardé notre mariage.

Et si l'officier d'état civil refuse ou perd notre dossier parce qu'il est contre le mariage homo ?

Et si la propriétaire du château que voulions louer refusait sous prétexte qu'on soit deux femmes ?

Et si l'élue qui officie durant la cérémonie se permettait une réflexion déplacée ? Voir refusait de nous marier ? 
Et si...

On se dit chaque jour qu'on a de la chance d'avoir jamais été confrontées à de pareil comportement. On touche du bois pour que ça continue. Craindre la discrimination au point de prendre des habitudes absurdes (lâcher sa main quand on passe près d'un groupe, dans la rue), faire une croix sur des envies (l'embrasser, là tout de suite maintenant parce que j'en ai envie, que le restaurant est agréable et le vin délicieux), sur certains de ses rêves (ira-t-on monter à cheval dans les steppes de Mongolie si l'extrémisme continue de monter dans cette région du monde ?), ça, ça n'est pas normal. Et c'est usant. Frustrant. Car on ne saura jamais si on fait bien de refuser de prendre ces risques. On ne saura jamais ce que ça fait, le saut en parachute.